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réclamations, et une certaine émotion se produisit dans la foule, mais elle fut promptement calmée.

Conformément à sa volonté, M. de Lamennais fut enterré dans la fosse commune et sans qu’aucun signe extérieur, tombeau, pierre ou croix, pût faire distinguer sa place de celles des pauvres. On ne prononça pas de discours. Le silence lugubre qui régnait parmi les assistans ne fut interrompu qu’une seule fois par le préposé du cimetière, qui dit avec un accent de mauvaise humeur aux manœuvres : « Ménagez donc le terrain et gardez une petite place pour un enfant, s’il nous en vient un. » Quelques minutes après, le terrain étant nivelé, la même personne éleva de nouveau la voix et nous dit : « Messieurs, vous pouvez vous retirer, tout est fini. »


Bien des années auparavant, Lamennais avait fait choix pour lui-même d’une autre sépulture que, dans une lettre à Montalembert, datée de la Chênaie, il décrivait ainsi :


Hier, en me promenant sur les bords de notre étang, je remarquai, sur un rocher qui forme une espèce de voûte et d’où sort un chêne isolé, une place que je destinai en moi-même pour mon tombeau. Les frais n’en seront pas considérables : une croix, gravée en creux dans le roc et quelques mottes de gazon sur le pauvre mort, voilà tout. Cette sépulture champêtre, dans un coin, à l’écart, plaît à mon imagination. Je n’aime de ce monde que la nature et c’est en son sein que je veux me reposer. Tout ce qui me rappelle les hommes me fait mal.


Au contraire, il n’avait jamais aimé le cimetière du Père-Lachaise. En 1818, il l’avait visité avec Mme Cottu, et le lendemain de cette visite, il lui écrivait cette belle lettre :


On ne sort pas sans un peu de tristesse des lieux que nous avons visités. J’admire comment les hommes savent se faire des spectacles de tout, et un luxe de la mort même. Il y a quelque chose d’étrange dans ce contraste de l’orgueil et d’une grande misère. Qu’apportent-ils avec tant de pompe ? Des ossemens ; ils y mêlent quelques fleurs, souvent plus durables que leurs souvenirs, et en voilà pour jamais ; la philosophie ne connaît d’autre consolation que l’oubli ; en rendant à la terre les restes de ceux qu’il a chéris, le chrétien regarde le ciel, et dit : Ils se réveilleront.


Mme Cottu, dans une lettre à Benoist d’Azy, complétait en ces termes le récit de cette promenade :


Il a été frappé de la beauté du lieu, mais son aspect presque riant lui a déplu. Après avoir parcouru dans un silence désapprobateur toute la partie ornée de tombes magnifiques, il s’est arrêté avec recueillement dans l’espace consacré à l’indigence, et où chaque place est marquée par une petite croix de bois, et se retournant du côté que nous venions de visiter : « Ils ont beau planter des arbres, graver des inscriptions, multiplier l’illusion