Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chevaleresque que Gramont eût souhaité de la part du roi de Prusse. Après l’insertion au Journal Officiel, lors de l’attentat Orsini, de l’adresse des colonels, n’avait-il pas autorisé l’ambassadeur anglais Cowley à dire à la reine Victoria qu’il envoyait, comme ambassadeur à Londres, Malakoff, le plus grand soldat de l’armée, pour réparer l’offense faite par les adresses de l’armée ? En vue de dissiper la défiance excitée partout depuis la guerre d’Italie, n’avait-il pas écrit une lettre apologétique publique à Persigny (20 juillet 1860) et protesté de son désir de vivre dans la meilleure entente possible avec tous ses voisins, et surtout avec l’Allemagne ? N’avait-il pas sollicité une entrevue du régent de Prusse et des princes allemands réunis à Bade, et n’avait-il pas fait cette avance, bien autrement grave qu’une lettre amicale, de venir apporter en personne ses explications ? Lors de l’affaire du Luxembourg, son ministre n’avait-il pas désavoué à satiété, par son ordre, « toute intention d’offenser et d’irriter la Prusse ? »

J’arrivai à ce moment au ministère des Affaires étrangères (trois heures et demie). On me dit que l’entretien avec Werther durait encore. Je me fis annoncer. Gramont vint me rejoindre, nous nous mîmes réciproquement au courant par quelques mots rapides, puis je le suivis dans son cabinet. Alors l’entretien changea de nature. Il cessa d’être officiel comme il l’avait été jusque-là et devint une de ces conversations libres que les hommes politiques ont entre eux quand ils sont en dehors de leur rôle officiel, dans lesquelles on échange ses idées sans s’engager soi-même et à plus forte raison son gouvernement, « conversations qu’on ne saurait supprimer sans rendre impossibles les relations familières qui facilitent la bonne entente entre ministres et gouvernemens. » Werther me parut inquiet, agité, attristé. Il lui échappa de dire, ce qu’il s’est bien gardé de rappeler dans son rapport : « Ah ! si j’avais été auprès du Roi, cette malheureuse affaire ne se serait pas engagée ! — Bien malheureuse, en effet, répondis-je, par ses conséquences lointaines plus encore que par elle-même, puisqu’elle paraît maintenant finie ou tout au moins en bonne voie d’arrangement. C’est l’état d’esprit qui va persister dans le pays après cette solution qui m’inquiète. L’œuvre d’apaisement à laquelle je travaillais péniblement est compromise : au lieu d’une opinion publique résignée, nous allons être aux prises avec une opinion irritée ; la question Hohenzollern est mise au second plan et on parle