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hors de doute que cette triste Allemande, femme d’un roi fou, mère de quinze enfans vicieux, intempérans, malades ou morts, était fort laide, et n’avait rien du tout qui rachetât cette laideur. Ramsay, qui l’a peinte peut-être cinquante fois, nous l’a dit clairement. Là-dessus, arrive Gainsborough, et non plus courtisan qu’un autre, moins même que d’autres, mais génial, il découvre que quand tout est perdu, dans une figure, c’est le moment où l’artiste est le plus à son aise, comme le médecin au chevet d’un malade condamné ; car, après tout, comme il ne peut faire pire que la nature, tout ce qui ne sera pas totalement perdu, c’est lui qui paraîtra l’avoir gagné. Il vit la bouche grimaçante de la reine Charlotte et inventa que c’était une façon de mystérieusement sourire. Il vit ses yeux plissés et imagina que c’était par la finesse et la diplomatie. Quand, en 1781, parut le premier de ces portraits, l’effet fut immense. « Je crois, dit un écrivain du temps, que Opie rendrait une tête de veau pleine de sentiment comme Gainsborough a rendu notre vieille reine Charlotte pleine de pittoresque. » Et Northcote ajoute : « Son portrait en pied de la reine Charlotte est également beau. Avec un gracieux mouvement, elle semble passer dans le tableau ! Ce mouvement est réel et accompli avec une telle légèreté, un tel air et une telle facilité qu’il m’a ravi lorsque je l’ai vu. La draperie fut faite en une nuit par Gainsborough et son neveu ; ils se tinrent là, toute la nuit, et la peignirent à la lueur de la lampe. Ceci, dans mon opinion, constitue l’essence du génie : faire de belles choses avec des modèles qui ne le sont pas. » Ici, le masque est posé par l’art.

L’art a peut-être fait quelque chose encore pour la plus idéale de ses filles, son quinzième et dernier enfant, la princesse Amélie, si c’est bien elle qu’a peinte Romney sous un haut chapeau enveloppé de voiles, à l’autre panneau de cette salle (n° 44). Ce portrait est superbe, d’une facture si libre qu’il semble né de l’enthousiasme impétueux d’un artiste pour sa maîtresse plus que du respect d’un courtisan pour une princesse accomplie. Au reste, courtisan, Romney l’était fort peu, et peintre, il l’était à un point qu’on ne dépasse pas de nos jours. Avec cela, ce visage s’enveloppe d’une extrême douceur. Les voiles qui l’entourent seraient comme le signe sensible de l’auréole idéale que le peuple anglais mettait à cette princesse charitable, aimante, malade, invalide, morte jeune. Il racontait qu’en mourant elle avait passé au doigt de son père un anneau de cristal ceint de diamans,