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s’obstinèrent à la chercher en elle. Nul ne lui en trouva. Toutes les histoires horrifiques ou admirables qu’on lui prêta sont des inventions de psychologues furieux de revenir bredouille. Emma Lyon n’était pas une femme : c’était une statue, une statue antique, déterrée par deux archéologues dilettantes, l’oncle et le neveu, qui se surnommaient eux-mêmes Pline l’Ancien et Pline le Jeune, et s’appelaient pour tout le monde sir William Hamilton, ambassadeur à Naples, et honorable Charles Greville, second fils du comte de Warwick.

Cette statue, morne et inerte tant qu’elle se trouva dans la boue, dès qu’on la mit en contact avec des chefs-d’œuvre de l’antiquité, par un prodige inexpliqué de la science, s’anima. Elle se souvint de ses origines. D’instinct, elle reprit les poses comme jadis dans les ateliers du Céramique, réalisant sans effort, et dans une perfection impeccable, ce que l’art antique a rêvé de plus beau. Ce fut un éblouissement. Gœthe, Mme Vigée-Lebrun, Romney, Reynolds, tous les artistes, tous les poètes qui la virent crurent voir respirer et marcher un marbre grec. Cela se passait sous le ciel de Naples qui ajoutait à l’illusion. « Rien n’était plus curieux, dit Mme Vigée-Lebrun, que la faculté qu’avait acquise lady Hamilton de donner subitement à tous ses traits l’expression de la douleur ou de la joie et de se poser merveilleusement pour représenter des personnages divers. L’œil animé, les cheveux épars, elle vous montrait une bacchante délicieuse, puis tout à coup son visage exprimait la douleur et l’on voyait une Madeleine repentante admirable… » Ce serait là, si l’on voulait, une approximative description des deux toiles de Romney que contient l’Exposition : la tête riante dans le rôle d’Euphrosyne (n° 46) au bout de la salle anglaise, à droite, et la figure en prière (n° 47) entre les deux portes d’entrée. Gœthe ajoute : « Elle est très belle et d’une jolie figure. Le vieux chevalier (Hamilton) a fait faire pour elle un costume grec qui lui va extrêmement bien. Vêtue de ce costume, laissant pendre ses cheveux, et prenant deux châles, elle fait paraître toutes les variétés possibles d’attitudes ; d’expressions et de regards, si bien qu’à la fin le spectateur s’imagine presque que c’est un songe. On voit là, en perfection, en mouvement, en ravissante variété, tout ce que les plus grands artistes ont rêvé de produire. Debout, à genoux, assise, couchée, grave ou triste, joyeuse, triomphante, repentante, licencieuse, menaçante, inquiète : tous les états de l’esprit se succèdent