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XIXe siècle est profond et rêveur et va parfois jusqu’au désespoir : toutes choses admirables en soi, mais incommodes aux autres et qui ne rendent point un « salon » agréable. Le portrait du XVIIIe siècle est « sociable » précisément à la manière dont il faut que le soit un salon.

Ce n’est pas seulement vrai du geste : ce l’est aussi de la physionomie. Considérez dans l’art ou autour de vous les physionomies, vous trouverez qu’elles peuvent se répartir toutes en trois groupes : celles qui se gardent, celles qui se livrent, celles qui s’échangent. Les types des premières sont les portraits d’Antonio Moro et parfois d’Holbein, — précisément deux maîtres de l’Angleterre ; le type des secondes se trouve dans les portraits de Franz Hals, et le type des troisièmes enfin chez La Tour et ici. Les premières décèlent les silencieux, les secondes les bavards, et les troisièmes les causeurs. Les premiers font leurs affaires, les seconds font les affaires des autres en négligeant les leurs propres, et les derniers, ne faisant les affaires de personne, font l’agrément de tout le monde. C’est proprement ceux-là qui animent la vie sociable et ce qu’on appelait jadis un « salon. » Ce sont eux, au vif, qu’on voyait l’année dernière, aux Cent pastels, et qu’on voit, cette année, aux Cent portraits : nullement préoccupés de paraître profonds, ni de se pousser aux emplois, mais, en y prenant eux-mêmes du plaisir, de plaire. Pour d’autres, un salon est un tréteau ; pour d’autres, c’est une échelle ; pour d’autres, c’est un comptoir : pour eux, c’est un temple dont le culte est la conversation.

Un salon est-il, pour un peintre, une très bonne école de naturel et de spontanéité ? On peut en douter et même le nier et même trouver, dans ce goût des salons, la raison d’une des infériorités de l’école française. Il y a toujours quelque chose d’affecté en l’attitude d’une figure décidée à plaire et à déployer ses grâces. Et, de fait, le geste du portrait français, au XVIIIe siècle, est loin du naturel ou de la libre insolence du portrait anglais. Tout un panneau de cette salle est animé par la gymnastique décorative, où les Largillière et les Nattier, en un délire d’opéra-comique, précipitent leurs modèles. Tant de faste mythologique n’était nullement nécessaire pour tenir une perruche en l’air ou feuilleter un livre, ou ôter un masque, ou déployer une guirlande, mais seulement pour montrer, en leur plus bel essor, les cous, les bras et les belles mains tactiles. On voit, déjà là, combien nous