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Bourbaki, plus excité que les autres, décroche son épée, l’étend sur le billard et dit : « S’il en est ainsi, désormais je refuse de servir. » On apporte le texte de l’interpellation Duvernois. L’Empereur, qui en a deviné la maligne intention, la blâme ; néanmoins, il y voit l’expression d’une exigence publique dont il sera peut-être difficile de ne pas tenir compte. Dans cet état des esprits, Gramont survient. Il raconte les échappatoires excédans de Werther, sa déclaration que le Roi est absolument étranger à ta renonciation ; il montre les défectuosités palpables de l’acte du prince Antoine. Alors l’Empereur oublie que toute résolution a été remise au Conseil du lendemain, « et, dit Gramont, des délibérations consciencieuses s’ouvrent aussitôt. »

Qui prit part à ces délibérations ? Gramont ne le dit pas. Je sais seulement ceux qui n’y furent pas appelés. N’y furent pas appelés : le ministre de la Guerre, qui, rassuré, avait arrêté ses préparatifs, et dont cependant la responsabilité pouvait devenir si lourde ; le garde des Sceaux, qui supportait presque seul le fardeau de la discussion publique dans les Chambres ; le ministre de l’Intérieur, plus particulièrement informé des mouvemens de l’esprit public ; le ministre des Finances, attentif aux perturbations du crédit de l’Etat ; en un mot, en dehors du ministre des Affaires étrangères, aucun des membres du Cabinet. Le résultat de ces délibérations fut la dépêche suivante à Benedetti que Gramont alla immédiatement expédier (sept heures du soir) : « Nous avons reçu des mains de l’ambassadeur d’Espagne la renonciation du prince Antoine, au nom de son fils Léopold, à sa candidature au trône d’Espagne. Pour que cette renonciation du prince Antoine produise tout son effet, il paraît nécessaire que le roi de Prusse s’y associe et nous donne l’assurance qu’il n’autoriserait pas de nouveau cette candidature. Veuillez vous rendre immédiatement auprès du Roi pour lui demander cette déclaration, qu’il ne saurait refuser, s’il n’est véritablement animé d’aucune arrière-pensée. Malgré la renonciation qui est maintenant connue, l’animation des esprits est telle que nous ne savons pas si nous parviendrons à la dominer. Faites de ce télégramme une paraphrase que vous pourrez communiquer au Roi. Répondez le plus promptement possible. » C’est ce qu’on a appelé la demande de garanties.

Cette dépêche inconsidérée annulait la sage dépêche de 1 h. 40. Elle ne se contentait, plus d’une participation du Roi au fait