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l’arrière-boutique, dépouillant — à quelle fin ? — une liasse de gazettes !…

Aussitôt, scène de reconnaissance, effusions, embrassade : « Mon bon Fauche à Paris ! » — « Pour objet de commerce. » — « De commerce ! Vous ne conspirez plus ? Mon cher, vous êtes vraiment un sage ! » On causa, jaserie d’intellectuels ; on parla de Rousseau, de l’Emile, du Contrat Social : de purs chefs-d’œuvre ! puis Dossonville demanda son adresse à ce cher voyageur… Son adresse ? Parbleu ! rue Saint-Hyacinthe, au quartier des libraires : « Venez donc avec moi, dans mon appartement. J’ai apporté une collection de livres rares ; vous y pourrez choisir quelques princeps, elzévirs ou plantins… » Pourquoi blesser un cœur rempli de telles délicatesses ? L’ami accepta donc ce présent d’un ami…

Douze heures plus tard, comme il entrait dans la rue du Petit-Lion, Fauche-Borel fut enlevé par le terrible Pâques, flanqué de commissaire et d’agens. On le poussa dans un fiacre ; la voiture prit le chemin du ministère de la Police ; le même jour l’Eveillé, Pauline, le Bon Louis était incarcéré dans le donjon du Temple… L’elzévir n’avait pu corrompre l’incorruptible Dossonville[1].


V. — FACHEUSE DÉCISION

Tout, du reste, allait mal pour les compagnons de la Patience ; avant même que Fauche eût été arrêté, leur bande avait déjà pris peur.

Dossonville, à présent en crédit près du Premier Consul, était devenu une puissance occulte. Ayant à peu près supplanté son chef, le général Davout, il dirigeait à sa guise la police des Tuileries, avivait les méfiances d’un maître soupçonneux, jouait de ses terreurs, attisait ses colères, et les portes du Temple, de La Force, de Pélagie, s’ouvraient, chaque jour, à de nouveaux prévenus. Sergent-Marceau, l’artiste péroreur, se taisait maintenant, enfermé au Donjon ; Lebois, Colin, et d’autres commensaux de la belle Emira étaient sous les verrous ; on ne discourait plus dans la pension bourgeoise de la rue du Sentier : La

  1. Fauche-Borel, dans ses Mémoires rédigés par Alphonse de Beauchamp, ne parle ni de sa rencontre avec Noisy, ni de la visite que lui fit Dossonville. Mais son dossier est beaucoup moins discret. Du reste, ces prétendus Mémoires, simple spéculation de librairie, fourmillent d’inexactitudes et contiennent d’impudens mensonges.