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précision. Presque toute l’action se passe dans la petite presqu’île de Pou-Alet, qui est très exactement décrite ; l’itinéraire d’Avranches au Mont Saint-Michel et à Dol est minutieusement tracé ; l’auteur connaissait évidemment très bien la région. On ne comprendrait rien à cette chanson si l’on ne savait qu’à la fin du XIIe siècle l’église de Dol était en conflit avec l’archevêché de Tours ; elle prétendait relever directement de Rome et, après de longues querelles, se trouvait en assez mauvaise posture. La Chanson d’Aquin a pour objet d’améliorer sa cause. C’est une œuvre d’actualité, destinée à prouver la précellence de l’église de Dol. Dans un temps où les informations historiques étaient difficiles à établir et où l’usage des documens faux était courant, quel argument précieux c’était de montrer l’évêque de Dol en relations personnelles avec Charlemagne, se couvrant de gloire à ses côtés, déjà, puissant et triomphant à une époque où les églises, les monastères, plus tard en rébellion contre lui, étaient soumis et débiles ! La Chanson d’Aquin n’est donc pas un jeu littéraire : elle a été composée évidemment sous l’inspiration des religieux de Dol ; c’est un écrit de propagande, un pamphlet hardi combiné avec finesse et mêlant spirituellement des histoires imaginaires à des descriptions authentiques. Mais, si nous n’avions pas la clef du mystère, à quelles hypothèses ingénieuses les savans ne seraient-ils pas réduits pour expliquer la campagne héroïque de Charles, dans cette Bretagne lointaine où il n’est jamais allé ?

C’est là un cas extrême, particulièrement instructif, par ce qu’il a d’excessif : il nous renseigne à la façon de ces phénomènes pathologiques d’où les psychologues d’aujourd’hui tirent d’utiles indications pour les connaissances des facultés normales. L’histoire des autres chansons sans être aussi simple n’est pas moins caractéristique. Voici l’un des plus beaux et des plus émouvans poèmes du moyen âge, celui de Raoul de Cambrai. Il raconte comment le jeune Raoul, malgré les supplications, les malédictions même de sa mère Aalais, combat les fils de Herbert de Vermandois et meurt victime de ses orgueilleux exploits. Gaston Paris le considérait comme le reflet de cette épopée féodale, dégagée spontanément au IXe siècle dans le tumulte où s’est constitué le moyen âge, comme l’image immédiate de la vie d’alors, comme l’une des productions les plus originales de l’ancienne France. Dans sa pensée, si au lieu de connaître une copie remaniée du XIIe siècle, nous avions eu le poème original,