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vassal de Carloman, qui combattit avec le roi des Lombards contre Charlemagne en 773. Mais une antique abbaye bénédictine des environs de Meaux qui honorait saint Faron comme son fondateur possédait la tombe d’un guerrier nommé Ogier, qui selon une chronique latine se serait retiré à l’abbaye de Saint-Faron et aurait demandé à Charlemagne d’y faire une donation. L’Ogier enterré à Meaux n’avait très probablement rien de commun avec l’Ogier de la guerre de Lombardie, si ce n’est le nom. Sous l’influence de chants des pèlerins d’Italie ou de leur propre mouvement, les religieux de l’abbaye de Saint-Faron embellirent la vie de leur héros, lui composèrent une légende fabuleuse et l’assimilèrent à l’Ogier ami du roi des Lombards : c’est ainsi que le culte obscur au Xe siècle du guerrier enseveli à Meaux devint si éclatant qu’au XIIe siècle nous retrouvons à la place de la tombe modeste d’Ogier un mausolée important entourée de statues représentant Roland, la belle Aude et Turpin ! Dans ce mausolée, M. Bédier voit le symbole matériel de l’alliance des moines et des jongleurs, la preuve qu’ils avaient formé un public pour le culte nouveau qu’ils proposaient d’un commun accord, et qu’ils durent maintenir pendant plusieurs siècles. Au temps de Montaigne qui visita l’abbaye, il semble bien que le sanctuaire fût en décadence ; on savait encore le nom d’Ogier, mais une inscription latine le traitait déjà de héros inconnu.

Mêmes raisonnemens encore et mêmes explications pour cet illustre et puissant Girard de Roussillon dont l’histoire ne sait rien si ce n’est qu’il vécut sous un souverain nommé Charles, que sa femme s’appelait Berthe, et qu’ensemble ils fondèrent l’abbaye de Vézelay. Sa légende, dit M. Bédier, vient, comme le chant XI de Mireille, comme la chanson populaire des Atours de Madeleine, de ce que vers l’an 1040 l’abbé de Vézelay, Geoffroi, eut la pieuse pensée de se procurer les reliques de sainte Marie-Madeleine. Pour expliquer leur provenance, les moines songèrent à Girard et à Berthe qui avaient fondé et enrichi de reliques précieuses l’abbaye de Vézelay, et dont la tombe se trouvait dans l’abbaye voisine de Pothières ; ils imaginèrent une faveur particulière accordée par Charlemagne à deux grands pécheurs repentis ; les jongleurs donnèrent à cette légende religieuse sa forme héroïque : d’un récit de moines ils firent ces grands récits d’aventures et de guerre pour séduire les pèlerins