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encore vu clairement la conduite que devait me conseiller l’acte grave qui venait de m’être révélé, je partis troublé et soucieux. Gramont trouva mon conseil bon, mais il ne le suivit qu’à demi. Il juxtaposa mon texte, qui restreignait la garantie au fait pré : sent, à son texte précédent, qui la réclamait pour l’avenir, et il mit ainsi une contradiction dans la nouvelle dépêche qu’après mon départ il adressa à Benedetti. Du reste, ainsi que je l’avais prévu, cette dépêche expédiée à 11 h. 45 n’arriva à Benedetti que le lendemain à 10 heures et demie, lorsqu’il avait déjà vu le Roi.


VI

Au ministère, je trouvai Robert Mitchell. Il me demanda comment il devait présenter, dans le Constitutionnel du lendemain matin, la renonciation du prince Antoine. N’ayant pas encore réfléchi au parti que j’allais prendre, je ne lui parlai pas de la demande de garanties, et ne lui exprimai que ma pensée propre, ce qui était une manière de commencer la lutte avec Saint-Cloud : « Déclarez que nous sommes satisfaits et que tout est fini. » Mitchell, qui soutenait de la verve de son merveilleux esprit, et du courage d’un brave cœur, la cause de la paix presque seul au milieu des ardeurs guerrières de la plupart des journalistes parisiens, accueillit mes assurances comme une victoire personnelle, et, me félicitant chaudement, partit tout enchanté rédiger sa note pacifique.

Resté seul, je débattis, pendant une longue nuit d’insomnie, la conduite que je devais suivre, et je revins sur tous les incidens de la journée. Mon premier mouvement fut d’envoyer ma démission : « Vous étiez trop surchargé d’affaires, — m’a écrit un de mes collègues qui connaissait la Droite de près depuis longtemps, Parieu, — pour observer tout ce qui se tramait autour de vous. » Sans avoir eu, en effet, le temps d’observer leur trame, je l’avais devinée. Je me sentais trahi, mal servi, de tous les côtés ; il fallait faire une épuration de l’ancien personnel, et je n’avais pas la dureté de cœur de l’opérer. Je me sentais profondément blessé de cette renaissance du pouvoir personnel. J’étais las et désireux de reprendre haleine ; l’idée d’être obligé de donner le signal d’une guerre me bouleversait ; l’occasion de me retenir était opportune, j’eus une violente tentation de la saisir.