Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/870

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en vain d’en éluder la nécessité ; les motifs qui ont obligé le puissant chancelier à s’y résoudre subsistent, plus forts aujourd’hui que jamais, puisque jamais les rapports entre la Russie et l’Autriche n’ont été aussi dangereusement tendus. Bismarck voulait qu’au moins, entre Berlin et Pétersbourg, il y eût toujours « un fil ; » ce fil, les derniers incidens l’ont rompu, et il sera difficile de le renouer. Guillaume II ne pardonne pas au Tsar et à M. Isvolski leur politique d’entente avec l’Angleterre ; on rapporte qu’après l’entrevue de Reval, l’Empereur aurait dit, en parlant de M. Isvolski : « Il me le paiera. » A l’entrevue, que l’on annonce prochaine, entre Nicolas II et Guillaume II, l’Empereur déploiera toute sa puissance de séduction, de fascination, le prince de Bülow toute sa souplesse ondoyante, pour entraîner le Tsar et ses conseillers, pour les séparer de leurs alliés et de leurs amis, afin de les mieux dominer. On peut prédire qu’ils n’y réussiront pas.

Depuis Sadowa, l’Autriche-Hongrie s’interdisait les initiatives téméraires : le baron d’Æhrenthal a rompu avec cette méthode. Ses audaces ont donné plus de relief à la politique autrichienne, plus d’accent à sa diplomatie ; mais l’Autriche a-t-elle recueilli des avantages proportionnés à ses sacrifices et au trouble qu’elle a jeté en Europe ? Elle a remporté une victoire diplomatique incontestable ; « mais, écrit le comte Rudolf Waldbourg dans la Deutsche Revue du mois de mai, depuis Olmutz, l’Autriche se méfie un peu des victoires diplomatiques. » Dans cette simple évocation tient tout un monde de souvenirs cruels sur lesquels il n’est pas nécessaire d’insister.

L’Autriche a réalisé l’annexion de la Bosnie-Herzégovine : c’est un très brillant avantage ; les nouvelles provinces sont l’Hinterland naturel des côtes Dalmates ; elles relient les ports de l’Adriatique avec les plaines du Danube. Mais l’Autriche en avait déjà la possession sans contrôle. Elle a renoncé à ses droits sur le sandjak de Novi-Bazar et à ceux qu’elle tenait de l’article 29 du traité de Berlin sur les côtes du Monténégro ; elle a payé 56 millions de francs à la Turquie ; le boycottage lui en a fait perdre environ 150 ; elle en a dépensé plus de 100 en armemens et mobilisation. C’est payer cher une acquisition déjà réalisée en fait depuis trente ans. On comprend cependant qu’elle ait jugé nécessaire de rendre définitive la situation, malgré tout précaire, de la Bosnie. Mais peut-être le plus difficile n’est-il pas fait : un échange de signatures ministérielles ne suffit pas à régler toutes