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les argumens ne sont rien, les baïonnettes sont tout, même lorsqu’elles restent au fourreau. Profitant de la leçon, une fois de plus, comme après le traité de Paris, elle se recueillera, elle réorganisera son armée, elle complétera son outillage économique. La Russie, qui a l’espace, a besoin du temps.

La politique de la Grande-Bretagne, durant la dernière crise, n’a pas varié dans son objet, ni dans ses principes ; elle n’a pas cessé, se prévalant du protocole de Londres de 1871, de déclarer que l’Europe seule avait qualité pour modifier, soit dans une conférence, soit par des négociations directes, ce que l’Europe avait fait. Elle ne s’est pas départie non plus d’une attitude nettement pacifique ; le voyage du roi Edouard à Berlin, le 9 février, en a été la preuve et le signe. Enfin elle est restée invariablement fidèle à l’entente cordiale avec la France et la Russie. Mais, dans l’exécution, son gouvernement paraît avoir manqué de décision et ses agens l’ont mis, parfois, en contradiction avec lui-même. Au moins dans les premières semaines, Londres a donné aux revendications des Serbes des encouragemens dangereux qui ne pouvaient être suivis d’aucun concours effectif. La situation difficile du Cabinet libéral, l’extrême nervosité de l’opinion surexcitée par les polémiques quotidiennes au sujet de la flotte, expliquent en partie ces incertitudes dans l’application. A Vienne, la politique britannique a donné l’impression d’être dominée par la préoccupation constante de la rivalité maritime de l’Angleterre avec l’Empire germanique et d’avoir voulu faire payer à l’Autriche-Hongrie sa fidélité à ses alliances ; la presse anglaise et, sur le continent, les organes qui passent pour suivre les inspirations du Foreign Office, ont mené contre l’Autriche une campagne très vive : or il est toujours vain d’attaquer avec des mots lorsqu’on n’est pas décidé à aller jusqu’aux armes.

La politique française a été très simple et très nette. Des conversations de M. Pichon avec M. Isvolski, et des déclarations publiques de ce dernier, il résultait que la Russie était résolue à s’en tenir, dans l’affaire de Bosnie, à une action diplomatique fondée sur le droit public européen : notre appui fut acquis d’avance à toute proposition ayant ce caractère. En face d’un conflit diplomatique entre l’Autriche et la Russie, le rôle de la France était de soutenir son alliée, — elle n’y a pas manqué, — mais aussi de préparer, par une politique de conciliation, l’entente finalement nécessaire : c’est ce qu’elle a fait. Elle a réussi