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à maintenir ses bonnes relations avec Vienne, afin d’être toujours en situation de servir de médiatrice entre les deux adversaires. Lorsqu’elle a cru que la Russie s’engageait trop avant dans une campagne sans issue, elle le lui a dit, car, sans une franchise absolue, il n’est pas de bonne entente durable. Elle a pris, pour arriver à une solution, des initiatives qui, peut-être, n’ont pas toujours été appréciées à leur valeur : nous avons vu comment l’accord franco-allemand du 9 février avait été le point de départ d’une tentative d’intervention conciliatrice, faite d’accord avec nos alliés, et qui fut sur le point de réussir. On dit que certaines personnalités du parti réactionnaire et germanophile, en Russie, ont essayé de présenter le maintien de bonnes relations entre Vienne et Paris comme contraire à nos devoirs d’alliés ; comment ne pas voir que le seul moyen qui fût à la fois efficace et pacifique, de seconder la politique russe, était, pour nous, de ménager notre crédit pour pouvoir remplir, au moment opportun, le rôle de médiateurs ; il est superflu d’ailleurs de discuter des insinuations auxquelles ni la loyauté du Tsar ni la finesse de M. Isvolski n’ont pu s’arrêter un instant ; les faits parlent d’eux-mêmes assez haut.

L’attitude du gouvernement français vis-à-vis de l’Autriche-Hongrie s’inspire d’une conception générale du rôle de cette puissance dans la vie européenne. La France regarde une Autriche forte comme un élément indispensable à l’équilibre et à la paix générale. La puissance qui règne sur la grande artère de l’Europe, le Danube, qui a ses deux têtes à Vienne et à Budapest, avec la Bohême, comme un bastion avancé, en face de l’Allemagne et, sur la Méditerranée, la fenêtre ouverte de Trieste, est admirablement placée pour exercer sur l’Europe une action de stabilité, de juste et nécessaire conservation ; mais c’est à la condition qu’elle soit elle-même un élément d’ordre et de paix ; le jour où elle se lancerait dans une politique d’expansion, elle deviendrait le plus dangereux facteur de troubles dont elle serait certainement la première victime. Tant qu’elle ne fera qu’affirmer sa personnalité et sa vitalité, la France n’a aucune raison d’en prendre ombrage : elle ne recommencera pas, sachant où elle mène, la politique de Napoléon III. L’accord austro-russe de 1897 a donné à l’Europe une longue période de paix. En face de complications possibles dans les Balkans, le rôle des diplomaties française et anglaise nous paraît être de renouer, entre Vienne et Pétersbourg, le fil imprudemment rompu par les audaces du