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belliqueuses ; le petit-fils de Louis-Philippe sait, avec un art consommé, peser sans frapper, utiliser la belle armée qu’il a créée sons pourtant s’en servir, obtenir de grands résultats sans rien sacrifier. Pour lui et pour son peuple, l’amitié autrichienne est une nécessité de situation, imposée par le voisinage roumain, et l’amitié russe une nécessité de cœur ; entre les deux, le roi Ferdinand évolue avec une élégance qui déconcerte les rancunes et désarme les malveillances. De l’amitié autrichienne, il profite pour proclamer au bon moment l’indépendance de son Etat et sa propre royauté ; sur l’amitié russe, il compte pour reconnaître et affermir sa couronne : comment ne pas accueillir en roi le souverain qui apporte, sur le cercueil du grand-duc Wladimir, les larmes reconnaissantes de tout un peuple ? Quand les circonstances l’exigent, le tsar des Bulgares sait parler haut, appuyé fortement sur son peuple et sur son armée : les cérémonies de Tirnovo, les fêtes de Philippopoli et de Sofia ont eu très grand air ; un peuple et une dynastie y célébraient leur jeunesse et leur vitalité. Et s’il était permis, après la victoire, de se souvenir des incertitudes du combat, combien il serait intéressant, pour un psychologue, de montrer le nouveau roi, pris entre les impatiences de son peuple et sa propre vision des réalités, attiré vers Constantinople et retenu par les conseils pressans de l’Europe, obligé de compter avec les Turcs et avec les Bulgares de Macédoine, avec les Roumains et avec les Serbes, avec Londres et avec Paris, tiraillé entre Vienne et Pétersbourg ! On admirerait en Ferdinand Ier, sur un théâtre encore trop exigu, un grand acteur du drame de l’histoire.

Nous croira-t-on si nous disons que la Serbie, à la dernière crise, n’a rien perdu, et même qu’elle a gagné quelque chose ? Le paradoxe est moins fort qu’il n’en a l’air. La Serbie n’a jamais possédé la Bosnie, et sa querelle avec l’Autriche fait penser au jugement du singe, dans la fable :


… Toi, loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris,
Et toi, renard, as pris ce que l’on te demande.


Sous les yeux de l’Europe, les Serbes ont fait preuve d’union, de sang-froid, aussi bien dans la résistance que dans la soumission à l’inévitable ; ils ont sonné avec crânerie des airs de bravoure, tout en étant résolus à ne point partir en guerre et à céder aux menaces suprêmes ; ils ont noué et consolidé leur bon accord