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ému, autant que le lui permettait sa nature ; la Reine daigna verser quelques larmes ; l’auteur obtint des pensions, des places, et devint quelque temps l’homme du jour. Par malheur, l’engoûment ne se soutint pas. À Paris, où la pièce fut donnée l’année suivante, elle fut reçue sans enthousiasme, « avec une estime calme, » dit un contemporain[1]. Très calme en effet ; au bout de quelques représentations, elle disparut de l’affiche. Ce dut être pour Chamfort une déception cruelle. Il renonça désormais, à laisser jouer aucune tragédie, quoiqu’il en eût, assurait-on, plusieurs en portefeuille.

La prose lui restait, et c’est bien pour elle seulement qu’il semblait fait. Nous avons surtout de lui deux éloges, qui ont obtenu des prix académiques et qui jouissent encore d’une certaine réputation. Son éloge de Molière ne se distingue pas beaucoup de ceux que l’Académie française couronnait tous les ans à la Saint-Louis. On n’y relève rien qui n’ait été déjà dit, rien qui frappe par la profondeur de l’idée ou le piquant du style. Il a tenté de replacer Molière dans son milieu et de peindre quelques tableaux de l’époque où il a vécu. Mais il n’y réussit guère ; c’est le vague et la faiblesse mêmes. Et lorsqu’il remonte à l’antiquité, il la juge assez mal. Il veut bien accorder à Aristophane « une certaine verve comique et quelquefois une rapidité entraînante ; voilà son seul mérite théâtral. » Quant à Plaute et à Térence, « on ne voit point qu’une grande idée philosophique, une vérité mâle, utile à la société, ait présidé à l’ordonnance de leurs plans. » — On sent qu’avec La Fontaine il est plus à son aise. Le personnage le domine moins, et il ose plus familièrement l’aborder. Cet éloge, qui fit du bruit et qui triompha de celui de La Harpe, contient de jolis détails, des citations bien amenées, des remarques fines ; mais l’auteur n’a pu, malgré toute sa bonne volonté, éviter entièrement la pompe, l’emphase vague et déclamatoire, qui sont le vice du genre. À côté de passages simples et gracieux, on y trouve des artifices de rhétorique : « ici le poète des Grâces m’arrête, » des exclamations, des apostrophes : « O La Fontaine, ta gloire en est plus grande ! » — « O La Fontaine, essuie tes larmes ! » etc.

  1. Grimm, Correspondance littéraire, décembre 1777, éd. Tourneux, XII, p. 31.