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que de voir, vers ce même temps, un équivalent absolu du Sturm und Drang se manifester, tout à coup, chez tous les compositeurs allemands, depuis Joseph Haydn jusqu’à Gluck et Mozart, en passant par des maîtres de second ordre, tels que les Vanhall et les Dittersdorf[1].

Mais l’étude de cette brève échappée « romantique, » bientôt interrompue et retardée, chez les musiciens allemands, par les progrès de la « galanterie, » m’entraînerait trop loin : et je voudrais signaler encore, tout au moins, l’existence d’un autre épisode peu connu de la vie musicale de Joseph Haydn, que vient également de nous révéler le nouveau catalogue de ses symphonies.


On croit communément que les douze dernières symphonies de Haydn, — les seules que l’on daigne encore exécuter, de temps à autre, — ont toutes été composées à Londres, durant les deux séjours faits par l’auteur dans cette ville, de janvier 1791 à juillet 1792, et de janvier 1794 au 15 août de l’année suivante. Mais le manuscrit de l’une de ces douze symphonies, en mi bémol (classée sous le n° 10 dans l’édition primitive), nous apprend qu’elle a été composée, seule de toutes, en 1793, c’est-à-dire à une date où le vieux maître était revenu de son premier voyage, et ne songeait pas même encore à préparer le second. Il l’a donc conçue et écrite à Vienne, au lendemain de son retour, et pendant qu’il était tout entier à l’émotion causée en lui par la perte de son jeune « fils » Mozart, mort le 5 décembre 1791. A Londres, naguère, dans la fièvre de son travail de composition et de mise au point, à peine avait-il eu le loisir d’accorder quelques larmes à la mémoire de celui qu’il s’était, depuis longtemps déjà, accoutumé à considérer comme le plus grand des maîtres de son art ; mais maintenant, rentré chez lui, il vivait en communion familière avec cette mémoire, que lui rendait plus présente encore et plus chère la découverte de la suite prodigieuse des chefs-d’œuvre créés par Mozart à la veille de sa mort, quintettes, fantaisies, et concertos, et la Flûte Enchantée et le Requiem, vingt œuvres d’un style et d’un esprit nouveaux que personne n’était mieux que lui en état de comprendre. Or, il suffit de jeter les yeux sur cette symphonie de 1793 pour constater aussitôt qu’elle est d’un bout à l’autre, comme saturée du génie de Mozart. Non seulement certains

  1. C’est également en 1772 que Philippe-Emmanuel Bach a publié la série la plus « romantique » de ses concertos de clavecin récemment exhumée par M. Hugo Riemann). Quant au jeune Mozart, on trouvera de curieux échos de son « romantisme » dans la série de ses quatuors composés à Milan en janvier-février 1773, ainsi que dans une suite de sonates pour piano et violon de la même année, rééditées dans la collection Litolff sous le titre singulier de Sonatines.