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en effet, si le sultan Abdul-Hamid était encore sur le trône et si la Turquie continuait de subir le joug d’une abominable oppression. La Turquie d’hier, quoiqu’en partie innocente de son malheur, avait droit à moins de ménagemens que celle d’aujourd’hui, et pour ce qui est d’Abdul-Hamid, on avait sur lui des moyens d’action qui étaient toujours efficaces. Mais les hommes et les choses sont changés, et ceux » d’aujourd’hui ne peuvent pas être traités comme ceux d’hier. Le gouvernement jeune-turc ne le tolérerait pas, et qui pourrait lui donner tort ? Il faut se mettre par la pensée à la place des hommes qui représentent ce gouvernement pour bien comprendre ce qui se passe en eux. Quand ils ont, en juillet dernier, secoué un joug odieux et donné au monde le spectacle nouveau dans l’histoire d’une révolution faite sans violences et sans représailles, comme en vertu d’une baguette magique aussi légère qu’elle s’est trouvée forte, ils ont cru pouvoir compter sur la bienveillance de l’Europe, qui d’ailleurs leur en prodiguait les expressions. Quelle n’a pas été leur déconvenue lorsque, à l’acte qu’ils Amenaient d’accomplir et dont tout le monde les félicitait, la Bulgarie et l’Autriche ont répondu en portant une rude atteinte à la souveraineté de leur pays sur les territoires qui n’avaient pas cessé d’en dépendre ! La révolution que les Jeunes-Turcs avaient faite n’était pas seulement libérale, elle était encore nationaliste, et les griefs qu’ils avaient contre l’ancien régime ne Aimaient pas seulement du joug de fer sous lequel l’Empire avait dû plier, mais aussi des amputations territoriales qu’il avait dû subir. Et, dès le premier moment, ils devaient subir eux-mêmes une diminution douloureuse pour leur patriotisme et compromettante pour leur prestige.

Ils s’y sont résignés parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement et que, surpris en flagrant délit d’évolution politique, ils sentaient bien qu’une aventure militaire serait pour eux une épreuve inquiétante, s’ils se trouvaient aux prises avec l’armée austro-hongroise, ou même avec l’armée bulgare. Voilà pourquoi ils sont entrés en composition et ont demandé des compensations pécuniaires à la place de ce qu’ils perdaient. Mais on raisonnerait mal si on croyait que, parce qu’ils ont fait cela une fois, et même deux, ils le feront une troisième : il serait, au contraire, beaucoup plus exact de dire que c’est précisément parce qu’ils l’ont fait deux fois qu’ils ne le feront pas trois. Ils ne le feraient que s’ils y étaient contraints par une force supérieure, et cette force, la Grèce doit se demander si elle l’a à sa disposition. Inutile d’insister sur ce point. La Grèce sait très bien qu’elle n’est pas plus en mesure aujourd’hui qu’il y a onze ans de soutenir