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Fabrice, collaborant au XIXe Siècle d’Edmond About. Dans l’intervalle, les graves événemens que l’on sait avaient eu lieu. En ces années de jeunesse où les idées se forment, où les vocations se décident, le futur auteur des Questions politiques avait été témoin de la débâcle du second Empire, de la guerre, de la Commune. Comme tous les hommes de sa génération, son imagination, sa pensée même en restèrent très fortement ébranlées : il dut se dire dès lors, j’imagine, qu’il était d’un bon citoyen d’aider ses compatriotes à voir clair dans les problèmes politiques et sociaux, et à les résoudre en esprit de justice, de charité et de vérité. Ne nous étonnons pas non plus de rencontrer chez M. Faguet un patriotisme très clairvoyant, ombrageux même et fort peu « pacifiste. » Les « pacifistes » sont surtout ceux qui sont assez jeunes pour n’avoir pas vu de leurs yeux le spectacle de la guerre franco-allemande et de l’invasion étrangère. Leurs aînés sont toujours tentés de reprendre à leur compte, en l’arrangeant un peu, certain mot historique, et de dire : « Messieurs les Prussiens, désarmez les premiers ! »

Par goût personnel, par tradition de famille, — son père était professeur et fin lettré, et son grand-oncle paternel avait épousé une sœur de Rivarol, — par métier aussi, M. Faguet aimait les Lettres. Un professeur qui aime les Lettres, et qui a la démangeaison d’écrire, est presque fatalement voué, ou condamné à, la critique. La critique, c’est l’enseignement prolongé et à peine déguisé ; et, en pareille matière, déguiser, c’est souligner encore, et c’est aggraver. Mieux vaut en prendre bravement son parti, comme l’a fait de très bonne heure M. Émile Faguet. « Depuis huit olympiades, écrivait-il en 1903, je n’ai fait absolument que de la critique. Quelques vers entre la dix-huitième et la trentième année (ils étaient bien mauvais), quelques commencemens de romans et nouvelles qui m’ont tellement ennuyé moi-même que je me suis persuadé qu’il était à supposer qu’ils n’amuseraient pas les autres ; c’est tout ce que je découvre dans mon passé, en dehors de cette envahissante et débordante critique… Il n’y a pas une année où, soit en livres, soit en articles, soit en notes pour moi-même, je n’aie écrit la matière de trois ou quatre volumes de critique. Critique des livres, critique des mœurs, critique politique, je ne suis jamais sorti de là[1]. »

  1. Menus propos sur la critique (Renaissance latine du 15 janvier 1903).