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courte crise religieuse, consomma le complet détachement à l’égard des croyances du passé. Ce ne fut que beaucoup plus tard, vers 1880, qu’une autre influence doctrinale, celle d’Auguste Comte, s’exerça fortement sur l’auteur de l’Anticléricalisme, et, sans aucun doute, lui fit prendre nettement conscience de quelques-unes de ses propres tendances. Il y avait en lui un positiviste qui s’ignorait encore : le Cours de philosophie positive le lui révéla à lui-même.

A toutes ces influences il en faut joindre une autre, que l’expérience de la vie et des livres n’a fait, ce semble, que renforcer, mais qui paraît bien, de tout temps, avoir été par M. Émile Faguet non pas subie, mais au contraire très docilement acceptée : c’est celle de l’esprit classique. Les traditions de famille, l’éducation universitaire corroboraient ici les goûts personnels, et ceux-ci, à leur tour, étaient prédisposés à recevoir l’empreinte inéluctable du métier. Il existe, certes, — surtout quand ils sont jeunes, — des professeurs « romantiques : » ils sont la minorité ; l’enseignement vit d’expérience, et de tradition, et dans un pays de vieille culture comme le nôtre, la tradition est nécessairement classique. Esprit clair, ingénieux, lucide, d’une remarquable santé et d’un vigoureux réalisme, M. Faguet n’a jamais eu aucune peine à s’accommoder de ces vérités, d’ailleurs élémentaires ; les « nuées, » de quelque ordre qu’elles soient, n’ont jamais eu de prise sur la fermeté de son bon sens poitevin. Sans rigueur, sans étroitesse, sans dogmatisme, il a entretenu et parfois renouvelé le culte de nos chefs-d’œuvre classiques ; il a aiguisé sa propre pensée dans leur constant et pieux commerce ; et par son exemple, comme par ses conseils, il n’a jamais cessé de prêcher le maintien et le respect des hautes et traditionnelles qualités du clair esprit français.

Nous tenons là, croyons-nous, les principales influences qui, jusqu’aux environs de la trentième année, se sont exercées sur M. Émile Faguet, et les divers élémens qui sont comme entrés dans la composition de son talent. Il s’agit maintenant de voir le robuste et actif ouvrier construire allègrement son œuvre.


II

Quand M. Faguet publia son premier livre, il avait trente-six ans. Il avait déjà, nous l’avons vu, beaucoup écrit, pour lui-même,