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historique du jugement qu’il a porté sur le XVIIIe siècle et sur ses principaux écrivains : son témoignage est celui d’un pur positiviste. N’ayant à défendre aucun credo philosophique ou religieux, n’appartenant à aucune secte, ni à aucun parti, le plus indépendant des hommes et le plus libre des esprits, armé du bon sens le plus droit, et le plus rectiligne en quelque sorte, de la raison la plus loyale, la plus exigeante aussi et la plus réaliste qui fut jamais, il a étudié en conscience les hommes et les doctrines qui s’offraient à son examen ; il leur a demandé et il a discuté leurs titres ; et, son enquête une fois terminée, il en a exposé les résultats avec une vivacité alerte et spirituelle, qui n’a choqué que ceux qui n’aiment pas qu’on mette du talent au service des idées qu’ils ne partagent pas, mais avec une indéniable et presque candide impartialité. Il est possible que sur certains points, — et je le crois, pour ma part, — son verdict ait été un peu trop sévère. Mais qu’il ait été rendu avec sérieux, et après mûre délibération, c’est ce qu’il est impossible de contester. Il s’en dégageait, à vrai dire, très nettement le conseil de ne pas prendre pour conseillers et pour guides, dans nos affaires présentes, ceux que l’on était convenu d’appeler les « philosophes. » Et la leçon porta, d’autant plus persuasive qu’elle était discrète, et qu’elle ressortait du livre lui-même, mais qu’elle ne l’avait pas dicté.

Une chose aussi était à remarquer dans ces études dites « littéraires » sur le XVIIIe siècle : c’était combien y sont profondément étudiés ceux qui ont posé le problème politique et moral. Visiblement, le critique se sent particulièrement attiré par eux : des onze études qui composent le livre, celle qu’il a évidemment écrite avec le plus d’allégresse et d’amour, c’est celle qu’il a consacrée au « moraliste politique » Montesquieu, en raison sans doute d’une certaine affinité de nature entre le peintre et son modèle, en raison aussi des questions discutées par l’auteur de l’Esprit des Lois. Ces questions qui semblent bien avoir toujours préoccupé M. Émile Faguet le préoccupent maintenant de plus en plus. Et c’est en effet vers le même temps que, sans d’ailleurs renoncer à la critique proprement littéraire, il commence cette série d’études sur les Politiques et Moralistes du XIXe siècle qu’il n’achèvera qu’en 1900, et qui contient peut-être quelques-uns de ses plus assurés chefs-d’œuvre. Dans cet ordre d’idées, on n’a rien écrit de plus pénétrant, de plus fort, de plus lucide,