Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

siècles ont abondamment spéculé ; ils ne se sont pas contentés de spéculer, ils ont agi ; les idées qu’ils ont remuées ne sont pas restées de simples notions abstraites, elles sont devenues des forces sociales, vivantes et agissantes ; elles n’ont pas été reléguées dans les lointains brouillards du ciel métaphysique ; comme les dieux d’Homère, elles sont descendues sur la terre : non contentes de séduire les intelligences, elles ont tenté d’agir sur les volontés. De tous ces systèmes et de tous ces efforts, laborieusement poursuivis pendant deux siècles, que subsiste-t-il aujourd’hui ? Qu’a-t-on irrémédiablement détruit ? Et qu’a-t-on vraiment fondé ? Parmi les ruines accumulées, parmi les restaurations, et les constructions nouvelles, aperçoit-on quelques aménagemens solides pour y abriter l’œuvre de l’avenir ? En un mot, quel est, non pas théoriquement, mais dans l’humble réalité quotidienne, le legs moral des deux siècles qui ont précédé le nôtre, et de quel viatique spirituel ont-ils finalement muni les jeunes générations qui arrivent maintenant à la vie ? Telle est, dans toute sa précision et dans toute son ampleur, la question qui domine l’enquête entreprise par M. Faguet sur les politiques et moralistes du XVIIIe et du XIXe siècle, et qui en fait la secrète et profonde unité. C’est pour y répondre qu’à travers mille autres besognes moins importantes ou moins graves, mille « divertissemens » littéraires ou pédagogiques, il l’a poursuivie patiemment pendant plus de dix années de sa vie, et menée diligemment à bonne fin. Cette vaste et précieuse enquête, on l’a dit avec esprit et avec justesse, — n’est-ce pas Auguste Sabatier ? — c’est la « confession d’un enfant du siècle. »

Confession très sincère, mais au total singulièrement mélancolique. Elle se ramène à ceci : le XVIIIe siècle a détruit l’ancien pouvoir spirituel ; le XIXe a essayé de le restaurer, ou d’en fonder un nouveau ; mais dans les deux cas, surtout peut-être dans le second, il a radicalement échoué. « Ce siècle fécond en avortemens, comme on a dit avec trop d’esprit et trop de vraisemblance, a été cruel à ceux qui ont cru que l’humanité a tellement besoin d’une direction morale que, quand elle en manque, elle en restaure une ancienne ou en crée une. Je suis persuadé qu’ils ont raison ; mais ils ont raison pour le passé et pour l’avenir ; et ils n’ont pas été prophètes du présent. »

Voyez plutôt. « Le XVIIIe siècle, c’est une religion qui s’en va, emportant avec elle la morale où elle était comme liée. Les