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générale. Il a entendu raconter que le capitaine de Mangin, assassiné avec le général de Bréa, avait les yeux arrachés, les joues coupées, et il ajoute : « Ceci n’est pas une fable. » Pour l’honneur de l’humanité, c’en est une. Mon camarade de l’état-major, dont j’ai le premier relevé le corps, était défiguré, parce qu’on lui avait tiré un coup de pistolet dans l’oreille, mais il ne portait aucune trace de mutilation.

Pour un pauvre avocat obligé de gagner sa vie, les temps de révolution ne sont guère favorables. Edmond Rousse a beau regarder de tous les côtés de l’horizon, il ne voit pas venir le procès lucratif qui le tirera d’affaire. En revanche, Paris continue à lui donner le spectacle d’une ville réduite aux expédiens et d’un gouvernement incapable d’organiser. Les provinciaux, les gens des Ardennes se figurent peut-être, sur la foi des journaux, qu’il existe une garde républicaine. Grave erreur ! « On rencontre bien des bandes d’hommes armés qui parcourent la ville sous prétexte d’en faire la police, mais, en conscience, cela ne ressemble en rien à une milice régulière. Les uns sont en blouse, les autres en tunique ; les uns ont des pantalons garance, les autres des pantalons bleu de ciel. On dirait une troupe de voleurs qui vient de dévaliser la boutique d’un fripier. » Ce fragment donne bien le ton d’une partie de la correspondance. L’ironie y côtoie à chaque instant l’expression du sentiment poétique. Partout une langue de même qualité, simple et forte ; la vraie langue française sans afféterie, sans prétention, sans surcharge de couleurs, limpide comme de l’eau de source. Edmond Rousse a écrit des pages plus travaillées, d’un caractère doctrinal plus apparent ; nulle part il ne nous livre mieux le fond de sa nature que dans ses lettres. C’est une joie de le suivre, de l’entendre raisonner avec tant d’aisance, de bonne grâce, d’esprit, en passant suivant la nature des sujets, du ton de la plaisanterie aux considérations les plus hautes et les plus nobles.

Quel peintre des ridicules contemporains et en même temps quel juge incorruptible ! Il sent bien que la monarchie de Juillet a péri par ses fautes, par l’exagération de la confiance et de l’optimisme gouvernemental. Il ne voudrait pas travailler à la rétablir ; il croit même, que si elle ressuscitait, elle ne pourrait pas durer. Mais que dire de l’incapacité de ses successeurs ? Le bulletin régulier du Journal Officiel annonçant pompeusement des réformes qui ne se réalisent jamais le remplit d’une douce