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en quintuple expédition. Ces postes d’écrivain sont au nombre des travaux doux, pour lesquels, protections aidant, on détourne de la production réelle plus de 10 pour 100 du personnel.

Ce qui reste travaille le moins possible : non qu’il ne s’y rencontre une majorité d’ouvriers honnêtes et laborieux ; mais elle aurait besoin d’un appui contre l’exemple et l’intimidation. Quelques mauvaises volontés suffisent d’ailleurs à paralyser une équipe, où chacun doit attendre l’aide de tous les autres. L’arsenal de Toulon, qui emploie 6 500 ouvriers, a l’air d’une ville morte ou d’une usine en grève. Le désordre, la paresse, l’incurie s’y étalent. Les hommes allongés au soleil l’hiver, à l’ombre l’été, causent, fument, jouent aux cartes, lisent le journal. Ouvrons, pour constater le contraste, le livre de M. Lockroy sur la marine allemande : « On devine une discipline sévère... Les hommes sont silencieux comme les machines électriques dont ils font usage... L’arsenal est tenu comme un bateau. Tout y brille et y reluit. On y chercherait une tache. Pas un bout de tôle n’est oublié dans les chemins... »

La politique fait naturellement ses ravages parmi nos ouvriers désœuvrés. Ils en ont d’abord obtenu d’élargir encore leur oisiveté. M. Pelletan leur accorda la journée officielle de huit heures, réduite en fait à beaucoup moins. Des ingénieurs ayant servi dans les chantiers privés et dans certains arsenaux estimaient au dixième la proportion des rendemens ; et un autre technicien évaluait à deux heures de travail effectif l’activité des bons ouvriers à Toulon. Voilà pour la quantité. La qualité vaut-elle mieux ? On assure qu’il faut reprendre près de la moitié des montages et ajustages faits par Toulon. Et qui ne se rappelle en effet tel sous-marin se présentant aux essais avec des organes incapables de fonctionner ? La mauvaise volonté n’est peut-être pas toujours étrangère à tant d’incidens : incendies, bateaux coulés au bassin, enrayages de machines, etc., qui se reproduisent du Nord au Midi. Et justement, la surveillance a été diminuée avec le nombre des gendarmes et des garde-consignes, désarmée par la faiblesse ministérielle. Ceux des contremaîtres qui essayaient de réagir se sont vus l’objet de persécutions impunies. De leur côté, les officiers et ingénieurs, priés d’éviter toute affaire, et sachant qu’ils ne seraient pas soutenus, ferment les yeux. D’ailleurs, la paperasse les retient hors des chantiers.

Dans ces conditions, le pouvoir finit par émaner d’en bas.