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C’est l’anarchie. En voici les résultats. Le vrai moyen de concilier les intérêts de l’ouvrier et ceux de l’Etat, d’améliorer à la fois les salaires et la production serait l’emploi du travail à la tâche. Tout le monde y gagne. Les ouvriers laborieux l’appellent donc de leurs vœux. Les syndicats révolutionnaires n’en veulent pas[1]. Et le gouvernement qui l’avait prescrit, s’est empressé d’y renoncer. Un peu plus tard, après des déclarations retentissantes, M. Thomson essaya d’y revenir ; mais il crut devoir y mêler, pour le rendre moins amer, une part de socialisme. Le champ d’expérience était cet atelier des torpilles, dont la production, de 127 torpilles, en 1902, était tombée, en 1905, nominalement à 69, et plus bas encore dans la réalité. On prit pour base le chiffre de 91, inférieur de 40 pour 100 à la production ancienne, et le personnel reçut le bénéfice intégral de la plus-value : bénéfice réparti non entre les 123 ouvriers ayant effectué le travail en cause et proportionnellement à leur participation, mais, sans distinction d’emploi ni de salaire, entre toutes les 317 personnes attachées à l’atelier, soit les balayeurs, etc.

Sur cette pente des concessions, on ne s’arrête plus. Un décret du 13 juin 1907 introduit des délégués ouvriers dans les conseils d’admission, d’avancement et de discipline. Même il leur donne la majorité : quatre voix par exemple contre celle d’un ingénieur assisté du chef d’atelier et d’un surveillant. Et naturellement, la désignation des délégués reste surtout aux mains des minorités violentes. Aucune industrie ne résisterait à de pareils abus. La marine n’en évite pas les inconvéniens, mais, dissimulant son déficit, elle les rejette sur le pays et puise chaque année dans la poche des contribuables pour continuer une exploitation de plus en plus onéreuse.

L’anarchie d’en haut. — Son mauvais rendement a d’autres causes encore. Un de ses ingénieurs les plus distingués, M. Ch. Ferrand, définissait la maladie dont elle souffre une anarchie double : peut-être devrait-on dire triple. Il localisait l’anarchie d’en haut dans la tête de l’administration, mais on en relèverait les symptômes à tous les degrés du commandement. La marine n’est pas commandée. Rien n’y fait sentir une action

  1. Dans une réunion à Toulon, le 23 décembre 1908, il fut décidé à l’unanimité que tout ouvrier acceptant de travailler à la tâche serait rayé des syndicats et exclus à tout jamais.