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Plus que les philosophes, ils ont su remuer l’opinion ; plus facilement qu’eux ils en ont été les interprètes ; et l’heure viendra où ces folliculaires, comme les appelait Voltaire, se nommeront l’abbé Prévost, Grimm, Raynal, Diderot, Favart, Mirabeau.

L’influence d’un gazetier à la main se propageait encore par les feuilles nouvelles que produisait la feuille qu’il avait rédigée. Des rameaux secondaires venaient se greffer sur la branche principale, pour reprendre les expressions du temps. Des nouvellistes de deuxième rang se procurent de la copie chez leurs confrères du premier ordre et la débitent ensuite pour leur propre compte. Cette opération est souvent le résultat d’agissemens frauduleux, pratiqués par des journalistes indélicats qui volent à leurs confrères le fruit d’un travail personnel ; ils peuvent le faire s’ils sont employés par eux comme copistes, ou bien s’ils obtiennent de quelque abonné des exemplaires déjà lus. Un certain Ratier transcrivait ainsi, en 1724, les feuilles que lui communiquait le laquais de M. de Gouvernet ; et c’était bien l’éventualité que redoutaient le plus les nouvellistes, — après l’apparition toutefois de l’exempt armé de son bâton rouge et d’une lettre de cachet.

Mais ces emprunts pouvaient aussi se faire du consentement des nouvellistes principaux. C’étaient pour la plupart de pauvres diables, et qui avaient bon cœur. Voyant un camarade dans la peine :

« Tâche de te procurer des souscripteurs, je te passerai de la copie. »

Ou bien ils vendaient fort cher leurs informations à des confrères qui disposaient d’abonnés auxquels eux-mêmes ne pouvaient parvenir, ne connaissant pas leurs adresses. Girardin, prisonnier au Grand-Châtelet en 1744, assure au lieutenant de police que, s’il est coupable, ce n’est point comme auteur (rédacteur de nouvelles, expression consacrée). Il se procurait des mémoires (informations, sur lesquelles travaillaient les nouvellistes, expression consacrée également), il se procurait des mémoires « à raison de neuf livres par mois et les répandait ensuite pour gagner sa vie et soutenir sa famille. »

La clientèle des nouvellistes se recrutait dans l’élite de la société. « J’adressais mes feuilles, dit un certain Gautier, deux fois par semaine à quelques personnes distinguées dont je faisais les commissions littéraires. » Gautier n’exagérait pas. Voici