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pauvres nouvellistes, qui n’avons pour vivre que nos nouvelles. Si nous avions comme vous chacun une jolie femme, nous nous passerions de faire des nouvelles. Un bon financier viendrait faire la cour à nos femmes et laisserait de quoi bouillir la marmite. Vous pensez qu’à un bon nouvelliste rien n’échappe et que je sais parfaitement que votre femme, qui a rebuté autrefois Marville, d’Argenson et quelques autres, est à présent courtisée par un financier qui vous méprise autant que vous le méritez, parce qu’il sait fort bien que c’est vous qui l’avez prostituée.

Prenez bien garde que je ne fasse de cet article un des plus beaux de ma feuille. Je vous avertis que je vous observerai de près et que si vous faites le rodomont...


Aussi, comme l’on comprend que Figaro, à bout de patience et d’efforts, lassé, dégoûté, écœuré, ait fini par fuir Paris, car Beaumarchais ne nous laisse aucun doute sur le vrai cadre de son intrigue espagnole :

« Voyant que la République des lettres était celle des loups, toujours armés les uns contre les autres, et que, livrés au mépris où ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes (nouvellistes), les librairies, les censeurs et tout ce qui s’attache à la peau des malheureux gens de lettres, achevait de déchiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait ; fatigué d’écrire, ennuyé de moi, dégoûté des autres, abîmé de dettes et léger d’argent ; à la fin convaincu que l’utile revenu du rasoir est préférable aux vains honneurs de la plume, j’ai quitté Madrid. »


VI. — LE DANGER DES NOUVELLES A LA MAIN

Les pouvoirs publics se montraient très sévères vis-à-vis des « gazetiers à la main. » Figaro est mis à la Bastille, et, furieux, il s’écrie :

« Que je voudrais bien tenir un de ces puissans de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais... qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. »

Fort bien, mais ces « petits écrits » étaient clandestins : la médisance, la diffamation, la calomnie, — on se rappelle le fameux couplet du Barbier, — circulaient sous pli cacheté : comment répondre ? Le plus souvent la jeune femme, dont la réputation était attaquée, ignorait la source de l’infamie dont on avait