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des quatre bonnes fêtes de l’année, surtout celles de Noël et de Pâques.

Si nous jetons un coup d’œil sur l’assistance, nous trouvons nos campagnards simplement, mais proprement mis, et il en est de même les jours ouvriers. On plaisantait jadis les Bas-Alpins sur leurs costumes de gros draps du pays qu’ils usaient jusqu’à la corde et il leur fallait des années pour cela. A présent, les Sisteronnais s’habillent exactement comme les paysans aisés du bas pays ou de Vaucluse et personne, si pauvre qu’il soit, ne chausse des sabots. Leur langage diffère à peine du provençal marseillais, et ils peuvent s’entretenir sans difficulté avec leurs compatriotes de la côte, chacun dans son dialecte. Seul, le fameux « chuintement »[1] avertit le linguiste que l’on s’approche du Dauphiné.

Quoique peut-être moins économes que leurs pères, ils le sont encore beaucoup. Leur ordinaire est des plus frugals : ils consomment plus de pain dur que de pain frais et plus de noix sèches que de viande. Tel ménage qui a débuté jadis avec des dettes et un bien des moins fertiles, non seulement à force de travail et d’épargne a tout remboursé, mais s’est constitué un petit magot fort respectable. Disons très haut que, quoique pauvre, notre population n’est nullement quémandeuse.

Comme beaucoup d’agriculteurs français, les gens de B... s’obstinent à cultiver du blé à perte ; car avec les prix actuels, que sont pratiquement des rendemens moyens de cinq fois la semence ? Chaque cultivateur point trop gêné a encore pendant l’hiver son petit troupeau de brebis avec quelques chèvres pour traire ; en effet, quoiqu’on emploie dans le pays des bœufs venus de Gap ou de Seyne, il n’y a point de vaches. Point de berger attitré non plus ; l’enfant de la maison en remplit souvent les fonctions. Les ânes et les mulets abondent et actuellement chacun possède sa petite charrette, forcée souvent de rouler dans d’abominables sentiers.

Depuis longtemps les antiques vignobles ont succombé devant le phylloxéra. Quand on a parlé ceps américains et greffages aux vignerons de B..., ils sont d’abord restés incrédules, préférant replanter au hasard des sarmens français qui n’ont pas tardé à dépérir pour être remplacés à leur tour. Ce jeu a duré

  1. C’est-à-dire la substitution du ch prononcé tch au c dur latin, comme dans chabro = chèvre pour cabro qui s’emploie en Basse-Provence et rappelle mieux le latin capra.