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nombre de bras qui n’abandonnaient pas pour cela l’agriculture assez florissante encore, eu égard aux rigueurs du climat.

Mais telle était la fécondité des ménages, et si nombreuses étaient les familles que le Roi pensionnait pour encourager la natalité que, malgré la sobriété des montagnards, leur ardeur à la besogne et les ressources d’une industrie alors active, la vallée dans sa partie haute ne pouvait fournir assez de vivres à tous ses enfans et il fallait pour beaucoup chercher ailleurs du pain bis. Quelques-uns quittaient le pays définitivement, mais le plus grand nombre n’émigrait que temporairement sur Marseille, Lyon, Paris, ramonant les cheminées, balayant les rues, montrant des marmottes et jouant sur la vielle l’air classique Digo Janeto... ou enfin acquérant comme colporteurs d’assez gros magots. Il ne faut pas oublier d’insister sur l’honnêteté proverbiale de ces enfans des Alpes, dont le bon sens pratique avait très bien remarqué que la probité constitue un excellent capital auxiliaire, propre à faire fructifier les autres.

A force d’intelligence et de privations, quelques-uns faisaient même fortune, s’établissaient comme industriels ou négocians à Paris ou autres grandes villes ; mais, c’étaient là des chances très exceptionnelles. La plupart prenaient soin de rentrer chez eux pour prendre part au surmenage agricole qui coïncide avec la saison des chaleurs dans la montagne.

Usines de drap et filatures de soie se fermèrent pendant ce règne de Louis-Philippe qui coïncide avec la haute période de prospérité relative des Basses-Alpes. Alors commença l’exode vers le Mexique des « Barcelonnettes. »

Les départs successifs de quelques aventuriers ne produisirent d’abord pas grand effet dans le pays jusqu’au jour où vers 1845 plusieurs « américains » revinrent dans la vallée avec des écus plein leurs poches. Les imaginations s’exaltent à la vue de cette aisance acquise et des départs commencent. Nos voyageurs n’ignorent pas que le climat du Mexique est dangereux, la traversée par mer assez rude, le pèlerinage de la Vera-Cruz à Mexico peu agréable, qu’il leur faudra enfin débuter comme garçons de magasins, mal couchés, mal nourris. Mais cela ne les arrête point, car ils savent qu’ils s’élèveront par degrés, d’abord commis, puis associés, et enfin patrons, jusqu’à la richesse, ou du moins jusqu’à une large aisance, que les camarades de leur vallée ne leur manqueront pas et qu’un jour enfin, ayant