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douloureuses, celle du 31 octobre par exemple, où une poignée d’insurgés tenait prisonniers à l’Hôtel de Ville les membres du gouvernement. Mais, sauf ces cas exceptionnels, la population parisienne a fait bonne contenance et supporté courageusement les plus dures privations. On n’admirera jamais assez la patience avec laquelle les femmes du peuple, par le froid, sous la bise glaciale, faisaient queue pendant des heures à la porte des bouchers et des boulangers pour recevoir un mince quartier de cheval ou un morceau de pain d’avoine. Elles ne se plaignaient pas, elles ne murmuraient pas ; très dignement, très simplement elles acceptaient le sacrifice que leur demandait la Patrie. La gravité de leur attitude, la nature des réflexions qu’elles échangeaient à voix basse dénotaient tout ce qu’il y avait de fort et de sain dans leur abnégation patriotique.

Edmond Rousse a vu et admiré tout cela. Il a aussi causé avec les mobiles qui revenaient des avant-postes, et a été témoin de l’ardeur et de l’élan de cette jeunesse. Il a vu rapporter aux ambulances des blessés couverts de sang, mais non découragés. Il a eu, comme nous tous, des heures d’espérance et de fièvre, suivies de réveils douloureux. Mais, le lendemain même des plus cruelles déceptions, l’élasticité, la vitalité de la race française lui mettent au cœur un peu d’orgueil. Le langage de Jules Favre à Ferrières en face du vainqueur le touche profondément, le départ de Gambetta en ballon lui paraît héroïque. Ce sont deux avocats. Quoiqu’en général il n’éprouve ni pour l’un, ni pour l’autre, surtout pour le second, une sympathie particulière, il n’hésite pas à reconnaître que leur conduite honore l’Ordre tout entier. Au moins, ces deux-là sont des républicains intelligens, à l’esprit ouvert, aux idées larges. Il éprouve un sentiment tout différent lorsque le hasard des réunions publiques le met aux prises avec des sectaires « qui cantonnent le patriotisme dans une caste de derviches politiques et dans une petite église de bonzes républicains, nés et nourris dans leur pagode. » Une chose offusque encore plus le goût délicat et le bon sens d’Edmond Rousse, les incohérences du Journal officiel, les alternatives de forfanteries et de défaillances qui s’y succèdent. Il y a des jours où le gouvernement paraît décidé à tout braver, à ne pas reculer devant les plus dures extrémités de la guerre : d’autres au contraire où son ton pleurard humilie la France devant un ennemi incapable d’attendrissement et devant l’Europe indifférente