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Ce n’est pas dans le discours de M. le garde des Sceaux qu’on en trouvera l’explication. « L’amnistie, a dit M. Briand. ne se comprend que si elle a le caractère d’une mesure d’apaisement, de pacification, que si elle s’applique à des événemens qu’on peut espérer raisonnablement ne pas voir se renouveler. » Paroles imprudentes ! Est-il vraiment raisonnable de croire que des événemens semblables à ceux de Draveil et de Villeneuve-Saint-Georges ne se renouvelleront pas ? Est-ce que les syndicats révolutionnaires ont désarmé ? Est-ce que les fauteurs de la guerre sociale ne se préparent pas notoirement à renouveler leurs exploits ? Est-ce que le dimanche, 20 juin, ils ne se sont pas livrés de nouveau à quelques-uns de leurs exercices favoris au champ de courses d’Auteuil et sur les routes qui y conduisent ? Est-ce qu’ils sont mûrs pour l’apaisement ? Non, certes. Devant l’attitude du Sénat, M. Briand a compris qu’il faisait fausse route, et il a bien voulu concéder que ses précisions optimistes pouvaient être « contrariées par les faits. » Nous serions effectivement étonnés qu’elles ne le fussent pas. Mais alors, pourquoi exclure les catholiques de l’amnistie ? La vraie raison, M. Clemenceau l’a donnée sans réticence, nous allions dire sans retenue. « Si nous étions, a-t-il dit à M. Jénouvrier, une académie de philosophes, votre argument serait d’une grande puissance. Mais nous sommes une assemblée politique dont la majorité est républicaine et vouée à l’organisation de la démocratie. Nous avons trouvé devant nous deux ordres de résistance : l’inéducation, la non-préparation des masses démocratiques, et puis, surtout, le cadre puissant des organisations autoritaires du passé. C’est une fatalité. Nous sommes en lutte les uns contre les autres. Il faudra que l’avenir nous ramène au régime du passé selon votre désir, ou qu’il crée le régime nouveau... Je suis chef du gouvernement, et je suis en bataille contre toutes les organisations du passé qui ont fondé des régimes abominables... Nous sommes en lutte contre leurs représentans et, dans cette lutte, nous ne cesserons pas de faire notre devoir. » Et, comme des protestations s’élevaient sur les bancs de la droite, et qu’on y demandait ce que signifiait ce langage : « Et la Saint-Barthélémy, s’est écrié M. Clemenceau ! Et les Albigeois ! » Ombre de M. Homais, vous avez dû être contente.

Ce sont là de tristes paroles ; elles sont empreintes du plus pur jacobinisme ; elles sont inspirées par des passions de guerre civile. Rien n’est plus malfaisant, en politique, que de se jeter réciproquement à la tête les crimes du passé et de rendre les générations nouvelles responsables de ce que, dans un moment de crise, ont pu faire