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celles d’autrefois. N’y a-t-il pas, entre nous, assez de causes de division sans en emprunter encore à l’histoire ? Mais M. Clemenceau qui a, sous tant d’autres rapports, une mentalité toute moderne, se grise de souvenirs épouvantables et perd quelque peu la tête lorsqu’il songe aux crimes de nos arrière-grands-pères, qui sont aussi les siens. Il ne consent à dater que de la Révolution, dont on sait qu’il accepte tout en bloc, comme si, là aussi, il n’y avait pas à distinguer et si des torrens de sang n’y avaient pas été répandus sans justice et sans pitié. Ce n’est pas M. le président du Conseil qui a parlé en homme politique, c’est M. de Las Cases. Après avoir rappelé et résumé la thèse de M. le président du Conseil : « Savez-vous ce que c’est que cela ? lui a-t-il dit. C’est tout simplement l’apologie de ces régimes passés que vous avez maltraités ensuite d’une façon excessive... Si, dans le passé de nos aïeux, il y a eu des fautes, des erreurs et des crimes, comme vous le dites, il y a eu aussi de grandes et de nobles choses qu’il ne faut pas oublier. Les fautes sont le résultat de la faiblesse humaine : elle est la même pour tous. De ce passé et de ces erreurs, il faut tâcher de nous souvenir, non pas pour trouver une excuse à des actes qui les imitent et les reproduisent, mais au contraire pour les éditer et ne pas retomber dans de tels erremens. » Ce langage a été écouté par le Sénat en silence et peut-être avec une approbation intérieure, mais le vote de l’assemblée ne s’en est pas inspiré. L’amnistie, votée pour les émeutiers de Draveil, n’a pas été étendue aux catholiques. Le gouvernement considère, malgré tout, les premiers comme des amis, — des amis égarés, — et les seconds comme des ennemis toujours dangereux. « Nous sommes dans une période de combat, » a-t-il dit en parlant de ces derniers. Il est probable que cette période durera jusqu’aux élections.

Certains symptômes donnent, en effet, à croire que le gouvernement ne demanderait pas mieux de ranimer, de réchauffer la guerre religieuse avant les élections. On se rappelle qu’à la veille des dernières, M. Clemenceau avait imaginé un complot monarchique, d’ailleurs puéril et ridicule, dont il n’a plus été question le lendemain : ce n’était là qu’une manœuvre électorale, et comme elle a atteint son but, l’idée de recommencer quelque chose d’analogue doit hanter l’esprit de M. le président du Conseil. De là, sans doute, les poursuites intentées contre le cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux. Assurément, elles ne s’imposaient pas. Mgr Andrieu a dit en chaire que les lois injustes n’obligeaient pas la conscience, en quoi il est d’accord avec de grands philosophes, de puissans esprits, de très nobles