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précédente : « Je me divertirai des intrigues ; ce sont mes seuls jetons ; je n’en ai point d’autres. » Tout au moins il s’intéresse à ce qui se passe parmi ses confrères ; il s’occupe des candidatures et s’en amuse ; et quoiqu’il mette encore peu d’empressement quand il vient, — il est le dernier ou l’avant-dernier sur la liste[1], — il vient cependant pour les circonstances importantes, pour des prix à décerner ou une élection à faire. À partir du milieu de l’année 1785, on commence à relever sa présence régulière ; dès lors, changement complet d’habitudes. Lui qui avait si longtemps boudé l’Académie, il ne manque presque plus une séance, et il y en a trois par semaine. Il prend sa part de toutes les charges. Chancelier au mois de juillet J786 et au mois d’avril 1790, directeur au mois d’avril 1792, il remplit très exactement ses fonctions. Pendant sept ans, les sept dernières années que la compagnie a vécues, il a été un académicien modèle. Morellet, dans sa réponse au Discours contre les Académies, n’a pas manqué de le lui rappeler : c’était de bonne guerre.

Il faut avouer que cette assiduité de la fin est encore plus étonnante que les absences du début. Car c’est précisément la période où se trame la suppression des Académies. On se groupe autour de Mirabeau pour travailler contre elles ; mais certainement Chamfort a eu la plus grande part au complot. Nous avons dit dans un précédent article la liaison de Chamfort et de Mirabeau, liaison curieuse, où les rôles ne sont pas ce qu’on serait tenté de croire. C’est le grand tribun qui est le disciple ; c’est l’homme de lettres qui est le maître, le conseiller, l’inspirateur, le guide. « Vous êtes la trempe de mon âme et de mon esprit[2], » écrit Mirabeau à cet ami dont il ne peut se passer. À tout moment, il se demande, préoccupé : Que pense-t-il sur ce point ? « Je me surprends à dire : Chamfort froncerait le sourcil ; ne faisons pas cela, n’écrivons pas cela. Ou : Chamfort sera content[3]. » Avec une pareille autorité sur Mirabeau, comment douter que Chamfort ait dirigé la campagne contre les Académies ? Il connaissait le terrain mieux que personne, il avait en mains les armes nécessaires et savait où porter les coups. Depuis dix ans qu’il appartenait à la compagnie, observateur pénétrant,

  1. Le jeudi 29 avril 1784 et le jeudi 13 janvier 1783 (voyez Registres de l’Académie, III, p. 541 et 551).
  2. Éd. Auguis, V, p. 418.
  3. Éd. Auguis, V, p. 377.