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le rapport contre les Académies était certainement écrit, prêt à être porté à la tribune ; il l’avait donc composé au moment même où il feignait d’être le plus zélé des académiciens. Il y a là une duplicité qui révolte. On aurait peine à y croire, si le personnage ne nous avait habitués à des procédés de ce genre. N’avons-nous pas déjà observé pareille conduite dans ses relations avec les grands seigneurs ? Il vivait à leur table, touchait leurs pensions, pendant qu’il rédigeait dans l’ombre ce pamphlet sur l’ordre de Cincinnatus, destiné à les perdre dans l’opinion du peuple. Ce qu’on peut dire ici pour sa défense, c’est qu’il ne se rendait pas compte de la gravité de son acte ; il n’avait pas le sentiment qu’il était coupable à ce point, puisque, rentré en possession du discours que Mirabeau n’avait pu prononcer, il se hâta de le publier[1]. Son inconscience est un peu son excuse.

Une question générale aurait dû dominer tout ce réquisitoire, celle de l’utilité ou de l’inconvénient des corps académiques. Chamfort l’indique à peine çà et là. Au lieu de voir les choses de haut, il préfère reprendre les attaques banales contre les usages, les règlemens, les occupations de l’Académie française. On pouvait alléguer diverses raisons contre ces compagnies, montrer les dangers qu’elles risquent d’avoir, les gênes qu’elles imposent au talent, les coteries qu’elles tendent à former, où, comme dans toute coterie, prévaut alors le souci des intérêts personnels, où les amitiés et les jalousies prennent trop d’importance, où tout se rapetisse et se rétrécit. Il ne leur oppose guère que l’exemple de l’Angleterre, qui était fort à la mode. Il est vrai que, sans posséder une académie littéraire, l’Angleterre n’en a pas moins une assez belle littérature. Mais, à l’époque même où les lettres jetaient chez elle le plus d’éclat, n’y avait-il pas de grands esprits, comme Swift et David Hume, pour regretter les services qu’une Académie aurait pu rendre ? Et que voyons-nous aujourd’hui de l’autre côté de la Manche ? Il faut croire que l’institution ne paraît pas si mauvaise à nos voisins, puisqu’ils essaient de s’en donner une semblable. Seulement, fidèles à leurs habitudes, ce n’est pas à l’État qu’ils contient le soin de la créer ; ce sont des particuliers qui en prennent l’initiative. Chamfort, malavisé de s’appuyer sur l’Angleterre,

  1. Voyez le discours de Chamfort intitulé : Des Académies, dans l’édition Auguis, I, p. 254 et suiv. et dans les Registres de l’Académie française, IV, p. 110 et suivantes.