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avait-il davantage raison eil dressant l’opinfon publique contre les Académies ? Quoi qu’il prétendît, le public ne leur était pas hostile en principe. La preuve, c’est qu’après avoir détruit celles qui existaient, il n’eut rien de plus pressé que de les rétablir et fonda l’Institut. Mais il entendait les supprimer sous la forme qu’elles avaient reçue de Louis XIV ; cela, il le voulait, comme il voulait renverser toutes les institutions de la royauté.

Laissant de côté les questions générales, Chamfort, je l’ai dit, ne s’en prend, en somme, qu’à l’Académie française ; c’est elle « dont la constitution est plus connue, plus simple, plus facile a saisir ; » c’est contre elle qu’il dirige tous ses efforts, qu’il excite le peuple et l’Assemblée. Dans toutes ses critiques, je ne vois rien de neuf ; il reproduit fidèlement les reproches qui avaient cours depuis plus d’un siècle. À peine les rajeunit-il par quelques traits spirituels : bornons-nous donc à les résumer. On en voulait d’abord à l’Académie de négliger les gens de lettres et de réserver ses faveurs aux gens en place et aux gens de cour. Assurément elle tenait à ceux-ci sa porte assez largement ouverte et les choix qu’elle fit parmi les grands seigneurs et les hauts dignitaires de l’Église, surtout au début du xviiie siècle, ne furent pas toujours heureux. Pourtant Chamfort lui-même est obligé de tempérer la sévérité de son blâme. Il reconnaît que ce mélange de deux mondes, jusque-là si complètement séparés, « fut regardé alors comme un service rendu aux lettres… ; la nation déjà disposée à sentir le mérite ne l’était pas encore à le mettre à sa place. » Racine assis à côté d’un cardinal ; mieux encore, Quinault, le fils d’un boulanger, ou l’abbé Genest, un ancien maquignon, traités sur le même pied qu’un duc et pair, cela ne s’était jamais vu, et c’était bien quelque chose. Ce rapprochement hâta le progrès des idées ; l’égalité académique ne fut pas sans profit pour la nation tout entière.

Mais l’Académie, dit-on encore, ne s’est pas seulement encombrée de personnages médiocres, qu’elle prenait pour leur naissance et que lui imposaient de puissantes recommandations ; elle a omis ou refusé de s’adjoindre des écrivains qui auraient dû figurer chez elle au premier rang. Nouveaux griefs, nouvelles attaques. La série des exclus ou des oubliés, qui s’ouvre au xviie siècle avec Molière, s’accrut au xviiie de quelques noms glorieux comme Rousseau et Diderot. Il est certain que cette