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pour défendre le gouvernement. La composition de l’Assemblée nationale, les tendances monarchiques qu’on lui attribue augmentent encore les appréhensions populaires. Edmond Rousse voit tout cela très clairement et s’en explique avec sa franchise habituelle. Le voici maintenant en face de la Commune dont il raconte l’histoire à ses amis, M. et Mme Nicolet. Le 21 mars 1871, il leur fait la peinture de Paris livré à une bande cosmopolite qui a commencé par assassiner Clément Thomas et le général Lecomte, qui retient Chanzy prisonnier, qui s’est emparée de tous les ministères, de la Banque, des Etats-majors, de la Préfecture de Police, de l’Hôtel de Ville. Une poignée de braves gens, des bataillons de la garde nationale essaient bien de résister dans quelques îlots encore intacts, à la gare Saint-Lazare, à la mairie du premier arrondissement, à l’Ecole polytechnique. Mais le gouvernement, hors d’état de les soutenir, renonce le premier à la lutte. Il ne reste plus aux Parisiens qu’à subir l’inévitable, à vivre comme on pourra sous un régime révolutionnaire. Le plus sûr au premier moment serait de déguerpir. Edmond Rousse n’y songe pas un instant : il est bâtonnier, il considère comme son premier devoir de ne pas déserter un poste qui peut devenir périlleux. Il rencontre, en effet, tout de suite l’occasion d’agir au nom de l’Ordre. Un avocat, Chaudey, attaché à la rédaction du Siècle, vient d’être arrêté par les agens de la Commune dans les bureaux de son journal. Edmond Rousse le connaît peu, il n’éprouve aucune sympathie pour les idées d’un confrère qui a été l’exécuteur testamentaire de Proudhon, qui a subi presque aveuglément la tyrannie de ce sophiste paradoxal. Mais il le sait très honnête homme, très laborieux, marié, père de famille, et il cherche le moyen de le faire sortir de prison. Le plus simple paraît être de s’adresser au garde des Sceaux. Précisément, le garde des Sceaux nommé par la Commune était, lui aussi, un avocat, le citoyen Protot, qui, l’année précédente, devenu l’objet d’une prévention politique, menacé d’une perquisition domiciliaire, avait sollicité et obtenu le secours de l’Ordre. L’entrevue d’Edmond Rousse avec le délégué de la Commune est un des morceaux les plus piquans qu’il ait écrits. On n’arrivait pas facilement chez un si grand personnage. En travers de la rue de la Paix, deux barricades successives, armées de canons, barraient l’entrée de la place Vendôme. Sur la place, cinq ou six cents hommes campaient l’arme au pied ou les fusils en faisceaux.