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Beaucoup dormaient sur les trottoirs vautrés dans l’ordure. « Une odeur mêlée de ménagerie humaine et de toits à porcs. » Dans le vestibule de la Chancellerie, une trentaine de gardes, une longue table sur des tréteaux, chargée de verres et de brocs. Un ancien huissier qui portait avec un camarade un seau rempli de vin reconnaît le bâtonnier et, bras nus, le tablier retroussé, l’introduit dans le cabinet du garde des Sceaux. « Dans cette grande pièce solennelle, pleine de si importans souvenirs, une demi-douzaine d’individus très sales, mal peignés, en vareuses, en paletots ou en blouses d’uniforme, remuaient des paniers entassés pêle-mêle sur les tables, sur les chaises et sur le plancher. Devant le grand bureau de Boule, un long jeune homme de vingt-quatre à vingt-cinq ans, mince, osseux, bottes molles, veston râpé et sur la tête un képi de garde national orné de trois galons. »

C’était le garde des Sceaux de France. Le dialogue qui s’engagea alors mit surtout en relief l’embarras du délégué. Il voulait être poli, il avait devant lui le représentant d’un corps dont il avait demandé l’appui, mais, d’autre part, il n’était pas libre, il ne pouvait rien promettre sans l’assentiment de ses collègues de la Commune. Il se défendait d’avoir fait arrêter le citoyen Chaudey et, lorsque Edmond Rousse lui demandait si, dans le cas d’une mise en jugement, il y aurait des garanties pour les accusés, il répondait machinalement, sans paraître bien sûr de son affaire, qu’il devait y en avoir. Le courageux bâtonnier réussit à voir Chaudey plusieurs fois, mais il acquit la certitude que, pour lui comme pour d’autres, il ne s’agissait nullement d’une mise en accusation et d’un procès en règle. Un dignitaire de la Préfecture de police le lui avait dit crûment. La Commune ne considérait pas les prisonniers comme des accusés. Elle voyait en eux des otages dont les têtes ne devaient tomber que si on n’obtenait pas du gouvernement de Versailles ce qu’on lui demandait. Raoul Rigault lui-même s’en expliqua un jour avec Edmond Rousse en lui confiant qu’on négociait pour obtenir de Versailles un échange de prisonniers. Il daigna même l’assurer que les détenus seraient en sûreté à Mazas et qu’il y répondait de leurs vies.

Muni de ce viatique, Edmond Rousse voulut pénétrer jusqu’à l’archevêque de Paris qu’il savait malade et lui apporter quelques paroles d’espérance. Il trouva un homme dont les traits