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il s’abstint de remontrances et comprit, dit la préface de la première édition, qu’on ne pouvait aller plus promptement. Mais les auteurs de la préface sont un peu sujets à caution. Au dehors, on comprenait beaucoup moins cette lenteur. Pellisson lui-même, si bien disposé pour l’Académie, « doutait » que le dictionnaire s’achevât quelque jour[1]. Les malins « affirmaient » qu’il ne s’achèverait jamais. Cette méchante langue de Furetière lançait, dans ses factums, des plaisanteries et des attaques dont l’opinion s’emparait avidement. Le bruit courait que la compagnie ne s’occupait du dictionnaire que lorsqu’elle n’avait rien de mieux à faire. Pour le public, les académiciens étaient des gens qui arrivaient l’un après l’autre, sans se presser ; ils se racontaient les histoires du jour, s’amusaient des nouvelles ; puis, après avoir bien ri, bien bavardé, quand ils s’avisaient tout à coup que le dictionnaire les attendait, ou ils se hâtaient de disparaître le plus vite possible, ou, s’ils se mettaient à travailler, ils s’attardaient à des minuties comme l’examen de « ce que c’était avoir la puce à l oreille[2]. » Certainement, le dictionnaire n’était pas populaire ; mais, — nous ne voulons pas excuser les académiciens ; ils étaient loin d’avoir tous l’ardeur dont Vaugelas était animé, — on oubliait, et on oublie encore aujourd’hui quand on continue à railler la lenteur de l’Académie, qu’avec la méthode de travail en commun, une certaine lenteur est inévitable. Les discussions sont nécessairement longues entre gens d’esprit qui saisissent avec finesse les nuances des mots et trouvent presque toujours des raisons ingénieuses aux opinions qu’ils défendent. Perrault fait remarquer justement que l’habileté même des ouvriers est un obstacle à l’achèvement de l’œuvre ; « elle nuit plus à l’accélération de l’ouvrage qu’elle n’y sert[3]. » Dira-t-on alors que c’est la méthode elle-même qui est mauvaise ? C’est elle cependant, nous allons le voir, qui donne son caractère au dictionnaire. Tel qu’il a été conçu, il doit être fait par une compagnie. Cette conception remonte à Vaugelas, et, à travers les délais, les retards, malgré un zèle attiédi, elle a continué de prévaloir après sa mort ; l’œuvre a vécu jusqu’à la fin de l’impulsion qu’elle avait reçue tout d’abord : sans Vaugelas, elle n’existerait pas. Bien qu’il n’y ait travaillé

  1. Pellisson, ibid., I, p. 110.
  2. Voyez Registres de l’Académie, I, p. 231, note 1.
  3. Lettre à Huet du 1er juillet 1689, citée dans Registres, I, p. 295, note 1.