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s’adapte mieux à la vie de tous les jours ; il convenait donc mieux à l’objet du dictionnaire. Quand on commença la seconde édition, la question se posa de nouveau. L’une des raisons de Vaugelas n’existait plus : le nombre des auteurs distingués ou illustres, à la fin du xviie siècle, était assez considérable pour fournir amplement d’exemples l’Académie. Mais l’autre subsistait, comme elle subsiste encore aujourd’hui ; on demeura fidèle à la méthode de la première édition et à la pensée de Vaugelas[1].

D’autres dictionnaires ont été composés en dehors de l’Académie. Pour nous borner à l’époque moderne, les cinquante dernières années en ont vu paraître deux du plus rare mérite. C’est d’abord celui de Littré, qui contient la plus riche collection

  1. Registres de l’Académie, II, p. 230 (séance du 16 juin 1727). — Rien ne fut changé dans le travail académique jusqu’aux derniers jours de la vie de Voltaire. Mais quand le patriarche de Ferney entreprit en 1778 ce triomphal voyage à Paris qui devait le tuer d’émotions et de fatigues, il apportait avec lui le plan d’un dictionnaire nouveau. Il s’agissait d’indiquer, en même temps que les diverses acceptions des mots, leur histoire, au moins depuis le xvie siècle, leur étymologie reconnue et quelquefois leur étymologie probable. Et l’on allait se mettre à l’œuvre sans retard. Et point n’était besoin de plus ample préparation. Ces faiseursde tragédies, ces auteurs de petits vers étaient censés connaître tout ce qu’il fallait savoir sur ces difficiles questions. Lui-même, le grand homme, l’infatigable vieillard, pour donner du cœur aux autres, offrait avec une merveilleuse assurance de se charger tout seul, malgré ses quatre-vingt-quatre ans, de la lettre A, une des plus lourdes. On sait ce qu’il advint. L’Académie s’était résignée à accepter le projet par déférence, sans enthousiasme. Dès que la mort de Voltaire, quelques jours plus tard, lui eut rendu sa liberté, elle se hâta de l’abandonner. Mais en décembre 1834, comme on finissait de préparer la 6* édition du dictionnaire de l’usage et que l’on s’occupait des travaux ultérieurs à entreprendre, l’idée fut émise, pour combler une lacune, de publier un grand dictionnaire historique de la langue. On arrêta donc, le 12 mars 1835, que chaque mot serait expliqué « d’après son étymologie, ses variations de forme et de sens, dans les âges divers de la langue, avec les nuances d’acception qu’il a reçues de l’art d’écrire. » C’était revenir à l’idée de Voltaire, avec un programme plus vaste d’ailleurs, et peut-être sans qu’on se rappelât ce précédent, car aucun des procès-verbaux que j’ai consultés pour les séances d’alors, ne montre qu’on eût le sentiment de se rattacher à la tentative de 1778. Patin, nommé dans la suite rapporteur de la commission, rédigea la préface du premier fascicule, qui fut enfin déposé sur le bureau de l’Académie le 29 juillet 1858 ; le premier volume paraissait en 1865. Puis un temps d’arrêt assez long. C’est seulement en 1877, quand la 7* édition du dictionnaire de l’usage est achevée, qu’on se remet au dictionnaire historique, auquel on travaille, dès lors, exclusivement. À partir de 1878, trois autres volumes sont donnés. En 1894, on terminait la lettre À, soixante ans après l’avoir commencée ! De ce train, et sur ce plan, c’étaient plusieurs siècles sans doute qu’il fallait pour mener jusqu’au bout l’entreprise, c’étaient peut-être une centaine de volumes in-4o à publier. On recula devant l’énormité de la tâche. On dut s’avouer aussi qu’un ouvrage de ce genre demande une éducation scientifique préalable et des connaissances de hnguiste plus étendues que n’en peuvent avoir la plupart des académiciens. À le poursuivre, l’Académie « ortait de sa compétence et de son rôle. Elle n’y était pas propre, s’en rendit compte et y renonça définitivement.