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d’exemples que nous ayons ; toute la littérature française s’y retrouve, pour ainsi dire, et l’on voit ce que le génie des écrivains a su tirer des ressources d’une langue. C’est ensuite celui auquel trois hommes de talent ont attaché leur nom ; Hatzfeld et ses collaborateurs se sont appliqués à trouver l’étymologie exacte des mots, à renouveler les définitions par une rigoureuse précision, à classer les divers sens d’après leur filiation logique. Malgré l’apparition de ces excellens ouvrages le dictionnaire de l’Académie, qui ne ressemble à aucun d’eux, conserve son utilité et garde sa raison d’être : il répond à un autre objet. Il n’a pas le charme qu’offre le « Littré » avec son amusante variété de citations ; il n’a pas la valeur philosophique du dictionnaire de Hatzfeld. Il est plus simple, nécessaire cependant : il fait connaître la langue telle qu’elle se parle, au moment où il est rédigé ; il est un témoin. Un témoin bien informé, d’abord : c’est une compagnie tout entière qui dépose. « Témoigner de l’usage, dit très bien Morellet, n’est pas l’affaire d’un seul homme, ni même de deux ou de trois[1]. » Et cette compagnie ne forme pas un groupe unique, [adonné aux mêmes études. Pour le but qu’on se propose, une assemblée de purs grammairiens, fussent-ils les plus savans du monde, n’aurait pas la même valeur qu’une réunion d’hommes instruits, pris (ce sont encore les expressions de Morellet) « parmi les gens de lettres et les personnes les plus distinguées, dans toutes les classes de la société. » Il faut ici des poètes et des auteurs dramatiques, des historiens et des érudits, des politiques et des grands seigneurs, des hommes d’Etat et des hommes de science. Il faut, en un mot, des rapporteurs fidèles de l’usage dans les divers milieux où l’on parle bien. — Et le dictionnaire, témoin bien informé, est aussi un témoin impartial. Les goûts personnels n’ont rien à voir et les préférences se taisent. On constate simplement ; après avoir constaté, on enregistre. On laisse mourir, quelque regret qu’on en ait, les mots décidément condamnés par l’usage ; on en accepte d’autres, en faveur desquels le public se prononce ; peut-être aimerait-on mieux les rejeter, mais on cède. L’essentiel est de ne pas céder trop vite. Qu’on attende, pour les enregistrer, qu’ils aient pris pied dans la langue. Avant de leur donner officiellement droit de cité, qu’on ait eu le temps de discerner l’usage passager de

  1. Réponse de Morellet à Chamfort dans les Registres de l’Académie, IV, p. 198.