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officier. On ne voit plus d’officiers à Stamboul. Les beaux capitaines, les lieutenans fringans, sortis des écoles militaires, et imbus des théories européennes, sont dispersés ou morts. Ceux qui restent, ce sont les officiers sortis du rang, non suspects d’athéisme et dévoués au Padischah.

Et ces soldats, les mêmes qu’un mot d’ordre a soulevés contre leurs chefs, contre les ministres, contre le Comité, et que je m’imaginais tels que des brutes, n’ont pas la mine féroce. Leurs uniformes ne brillent pas de propreté, leur tenue n’est pas très martiale : ils semblent las et indécis, — mais leurs figures sont des figures de paysans point méchans, point malhonnêtes. Ils me rappellent nos Bas-Bretons et nos Vendéens qui ne savaient pas lire, et ne connaissaient le monde qu’à travers les prônes de leurs curés. Ces paysans turcs ont aussi leurs curés excitateurs de guerre civile. Le clergé vulgaire, les hodjas, les ont poussés contre les libéraux, au nom du souverain menacé, au nom de la religion méconnue. Qu’on les pousse demain contre les étrangers, ils nous égorgeront sans scrupule ! Et pourtant, ils ne sont pas, en majorité, les brutes révoltantes que les journaux dépeignent…

On me dit : « Les officiers Jeunes-Turcs, membres du Comité, ont été maladroits en faisant une sorte de propagande anticléricale. Certains négligeaient les obligations rituelles et s’en moquaient tout haut, devant leurs hommes. D’autres, qui avaient trop vécu à Paris — ou à Péra, — ne se cachaient pas pour aller dans les cafés et lire des journaux pornographiques. Il y a quelques semaines, des soldats déchirèrent des numéros du Froufrou et du Sourire, en disant : « Voilà ce que lisent nos chefs : des journaux où l’on voit des femmes nues… De tels hommes ne méritent-ils pas d’être assassinés ?… »

Je ne me porterai pas garant de l’authenticité de ces histoires, et je les rapporte seulement à titre documentaire. Elles doivent pourtant avoir un fond de vérité. Le Turc qui a perdu la foi, comme le chrétien qui l’a perdue, doit malaisément sacrifier aux préjugés populaires. Pour ne pas être hypocrite, il choque les esprits simples. Malgré mes sympathies pour les Jeunes-Turcs, je ne peux dissimuler que partout, ici, on dénonce leur intolérance, leur sectarisme…

Ce n’est pas aujourd’hui, ce n’est pas dans ce carnet de notes que je me complairai à décrire les mosquées. Pour le moment