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mousquet en usage avant 1868 n’était pas une arme essentielle.

Les victoires de la dernière campagne doivent donc être attribuées à des causes anciennes et profondes. Comment les troupes japonaises étaient-elles animées d’un pareil esprit de sacrifice, d’une pareille intrépidité ? De telles vertus ne s’improvisent pas, elles sont une résultante : pour en apprécier la valeur, il faut examiner ce que sont par atavisme les Japonais de nos jours.

La piété filiale est la vertu par excellence de tous les peuples de l’Extrême-Orient. Elle n’a d’ailleurs aucun rapport avec le sentiment que nous décorons de ce nom. Dans notre civilisation, personne n’admet que les parens acceptent le sacrifice de leurs enfans. En Orient ce sacrifice est chose naturelle et due, il ne saurait être mis en question. C’est le principe essentiel de la philosophie de Confucius introduite au Japon avant l’ère chrétienne. Cette doctrine prescrit une soumission aveugle aux parens et au chef de l’Etat. Elle convenait parfaitement aux idées féodales du vieux Japon et elle a pénétré au plus profond du cœur de ses enfans. Le Boudhisme l’a respectée et elle a été gardée comme base de l’enseignement officiel jusqu’en 1868. À cette date, l’instruction publique fut organisée d’après le système européen ; mais si la philosophie de Confucius n’était plus officiellement enseignée, ses principes n’en étaient pas moins strictement observés dans les familles. De tout temps a existé une coutume générale. Un homme, arrivé à l’âge de soixante ans, devient Inkyo, ce qui veut dire, en retraite ; celui qui entre dans cet état, cède à ses héritiers la jouissance de ses biens, cesse tout travail et vit à sa guise de ce que ses enfans lui donnent. La vieillesse est si extraordinairement honorée qu’elle ne peut avoir aucune crainte d’abandon. Il serait barbare, dit le peuple, d’exiger un travail de qui a passé l’âge où il peut l’exécuter utilement.

Il n’y a pas de récits plus populaires que ceux des vingt-quatre modèles de piété filiale. L’enfant japonais, bercé avec ces légendes, en reste pénétré toute sa vie, d’autant mieux qu’il voit ses parens lui donner l’exemple. Ces légendes sont classiques. Quelques-unes sont touchantes, quelques-unes sont risibles, mais leur exagération même est faite pour frapper les enfans. Telle est l’histoire de Roraïshi, âgé de soixante-dix ans. Il s’habille avec des vêtemens d’enfant et s’ébat sur les nattes afin de donner à ses parens, âgés de quatre-vingt-dix ans, l’idée qu’ils ne sont pas