Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/416

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas ces innombrables fonctionnaires occupés de nos jours à mesurer l’existence de leurs concitoyens et à la tirer au cordeau. Les coutumes grandissaient sous la poussée spontanée de la vie : tel le pittoresque enchevêtrement de la forêt. Il est vrai que, diverses en leur croissance, ces coutumes en arrivaient à se contrarier sur de nombreux points. Quel désordre ! mais aussi quelle spontanéité et qui donnait au pays sa vigueur et son éclat !


IX. — L’UTILITÉ DES NOUVELLES À LA MAIN

Les « gazettes secrètes » étaient nécessaires à la société du temps. Il importait d’être renseigné sur ce qui se passait, et cela pour les motifs les plus sérieux, et aussi pour ces raisons futiles, plus graves souvent que les plus graves. À une dame, dans son salon, ou dans son boudoir, il faut des sujets de conversation. Mme de Sévigné écrit à Mme de Grignan : « Vous devriez lire les gazettes. »

Elles étaient nécessaires à la vie mondaine. Le Spectateur l’indique, non sans esprit. La scène se passe aux Enfers, où le bonhomme Ésope se promène avec Solon. Par mégarde il laisse tomber un pli cacheté que le législateur d’Athènes s’empresse de ramasser :

« Ah ! vraiment, dit Esope, vous me rendez un service essentiel ; j’aurais été désespéré de perdre ces papiers.

— Ils sont donc intéressans ?

— Au delà de toute expression… Dans une ville comme celle-ci on ne peut se dispenser d’être au courant de l’histoire du jour… Dans ce petit papier, on consigne toutes les anecdotes relatives aux mœurs actuelles, les aventures mystérieuses des petits soupers, les disgrâces de telle beauté délaissée, l’apparition de quelque nouvel astre sur l’horizon des plaisirs ; les nouvelles de paix, de guerre, de mort, de mariage ; en un mot, tout ce qui peut servir de matière à la conversation du jour… »

Solon répond : « J’entends » ; mais Esope, qui est lancé, s’obstine à expliquer :

« Que voulez-vous, les gens du monde sont obligés, par état, de savoir certaines choses. »

Et, brisant le cachet qui scelle l’enveloppe, il lit :