Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/444

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une fois pourtant il essaya de sortir de son indifférence aux choses contemporaines et d'agir sur son époque. Foncièrement, par tradition de famille et enseignement reçu au foyer, Leconte de Lisle est un disciple de la philosophie du xviiie siècle. Son père était nettement incrédule. On nous dit que sa mère était chrétienne, mais d'un christianisme qui n'alla pas jusqu'à faire faire à son fils sa première communion. Y eut-il malgré tout dans la vie intellectuelle du jeune homme une période de christianisme ? Dans son étude, souvent ingénieuse, sur le Sentiment religieux chez Leconte de Lisle, M. Elsenberg a pieusement réuni tous les textes qui, lors du séjour du poète en Bretagne où il était allé terminer ses études et faire son droit, témoigneraient de quelque sympathie pour le christianisme. Il a pour ami Julien Rouffet, élève d'un séminaire, et qui l'a séduit par sa sensibilité et sa douceur toutes religieuses : « Votre éducation religieuse a développé en vous des pensées douces comme elle. » Écrivant une étude sur André Chénier, il y plaint ceux qui n'ont pas compris les « rêves sublimes du spiritualisme chrétien, la seconde et suprême aurore de l'intelligence humaine. » À Rennes, il fonde avec d'autres jeunes gens la Variété, revue catholique de combat. Sa croyance est alors en un Dieu personnel qui gouverne le monde et d'où viennent toute beauté et toute bonté : il est bien vrai que rien ne ressemble moins au monde des Poèmes barbares, terre lugubre sous des cieux morts. Il le dit en prose, il le répète en vers :


Ô mon Dieu ! se peut-il que l'homme vous renie,
Vous dont la main puissante a dispensé pour nous
Votre amour dans les cœurs, dans les cieux l'harmonie,
Sur la terre ces monts qui retournent à vous ?
Oh ! faites-moi mourir à cette heure si belle
Où mon faible regard plonge en l'immensité.
Où votre œuvre terrestre et votre œuvre immortelle
Vous bénissent, Seigneur, par leur sublimité, etc.


C'est le ton d'une Harmonie lamartinienne. Mais la banalité de la forme témoigne assez à quel point le sentiment est superficiel. Leconte de Lisle a été à peine effleuré par l'influence d'un milieu qui n'est pas le sien. Dès le retour à l'île Bourbon, cette vague religiosité aura tôt fait de s'évanouir.

Là-bas au contraire sa pensée prend un tour à la fois « républicain et philosophique. » Lors du dernier voyage qui le ramènera parmi nous, ses convictions sont bien arrêtées. Il arrive de Bourbon à Paris pour être fouriériste. Il collabore à la Démocratie pacifique et à la