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Phalange. En 1848, il se jette dans le plein de l’action révolutionnaire. Nous le trouvons à l’Hôtel de Ville en train d’y présenter la requête des créoles tendante à l’abolition de l’esclavage, mesure qui ruine son père et sépare à jamais le père et le fils. Et le voici délégué du Gouvernement provisoire et chargé d’une mission en Bretagne. Il va y prêcher la république jacobine et l’anticléricalisme. Besogne ingrate, où il échoue piteusement. Aussi faut-il entendre de quelles injures il poursuit les « sales populations » qui ne se sont pas laissé détourner de leur tradition et n’ont pas voulu renoncer à leur foi. « Vous vous figurerez à grand’peine l’état d’abrutissement, d’ignorance et de stupidité naturelle de cette malheureuse Bretagne… Le peuple français a grand besoin d’un petit comité de salut public qui le force, comme disait cet autre au club Blanqui, d’après Mme de Staël, à faire un mariage d’inclination avec la République. » Au surplus, s’il en veut aux populations qui n’ont pas senti la beauté du mouvement révolutionnaire, il n’est guère enthousiaste de ceux qui mènent ce mouvement. Il a vu les chefs de près : excellente condition pour perdre beaucoup d’illusions. Il ne croit plus guère aux hommes ; mais sa foi dans les idées n’est pas ébranlée. Il dit, une fois pour toutes, adieu à la vie active et se réfugie « sur les hauteurs intellectuelles, dans la contemplation des formes divines, »

Au moment où Leconte de Lisle écrit la plupart des pièces dont la réunion formera les Poèmes antiques, une génération Httéraire entre en scène dont on a dit, d’une façon trop absolue, qu’elle était l’exacte antithèse de celle qui avait précédé. Sur un point, à vrai dire essentiel, l’opposition existe, et elle est nettement marquée. L’école « de l’art pour l’art » répudie hautement toute conception subjective et proscrit l’étalage du Moi. Sur presque tous les autres points au contraire elle continue le romantisme, en dégage et en précise les principes. C’est ce que M. Cassagne a très solidement démontré dans sa thèse. Car le principe autour duquel se groupent tous les écrivains de l’école, celui de l’indépendance de l’art est un principe romantique. L’artiste romantique faisait profession de mépriser le bourgeois ; et toutefois il écrivait pour le public bourgeois et prétendait aux suffrages de cette foule tant honnie. Plus conséquent avec lui-même, l’écrivain selon la doctrine de l’art pour l’art fera exprès d’écarter la foule et se contentera de l’estime de quelques-uns. Dédaigneux de son temps et curieux des époques disparues, il se confinera dans l’histoire, mais il aura eu soin de l’étudier au préalable. Épris d’exotisme, il aura promené ses yeux sur les décors des pays « estranges »