Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/446

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ou recueilli dans leur précision les documens de l'archéologie. Pessimiste, il assignera à sa désolation des raisons plus profondes qu'un dépit amoureux. En résumé, les romantiques ont ébauché une théorie artistique d'où leur tempérament les a presque aussitôt détournés : c'est à cette théorie que reviennent de façon réfléchie et volontaire les écrivains de l'art pour l'art.

Nul ici n'a été plus catégorique que Leconte de Lisle. La préface qu'il a mise en tête des Poèmes antiques peut compter parmi les plus importans manifestes où s'est affirmée la théorie. Il commençait par y souligner le caractère objectif du recueil. « Les émotions personnelles n'y ont laissé que peu de traces et les faits contemporains n'y apparaissent pas… » Et il indiquait d'où viendrait le secours à l'artiste soucieux de garantir son impersonnahté. « L'art et la science, longtemps séparés par siiite des efforts divergens de l'intelhgence , doivent tendre à s'unir étroitement, sinon à se confondre. » C'est la grande nouveauté. Jusqu'au milieu du xixe siècle, tandis que la science n'avait cessé de progresser dans la conquête des esprits, les écrivains y étaient restés étrangers et indifférens. Ce mouvement scientifique, la littérature va maintenant s'y adapter. Non certes qu'il soit question de célébrer en vers les découvertes de la science ou leurs applications industrielles. « Les hymnes et les odes Inspirées par la vapeur et la télégraphie électrique m'émeuvent médiocrement… » complétera la préface des Poèmes et Poésies. La science, ou plutôt les sciences dont le poète a affaire, ce sont les sciences morales, et, avant toutes les autres, l'histoire. C'est l'histoire qui fournit Leconte de Lisle de sujets, et ce sont les méthodes de l'histoire érudite qu'il emprunte pour les traiter. Déjà, dans une lettre de 1844, il écrivait : « Je vais me détachant en fait des individus, pour agir et pour vivre par la pensée avec la masse seulement. Je m'efface. Je me synthétise… » Les individus, dans l'évolution humaine, n'ont qu'une importance secondaire et accidentelle. C'est à la collectiité qu'il faut s'attacher. Le problème consiste à suivre le développement des races sous la pression du milieu physique, ou en réaction contre lui. L'expression la plus complète qu'elles donnent d'elles-mêmes, ce sont les mythes, œuvre anonyme lentement élaborée où chaque race dépose la conception qu'elle s'est faite du monde, de ses origines et de notre destinée.

Comment Leconte de Lisle vis-à-vis de la science n'a cessé de se comporter en artiste, c'est ce que M. Joseph Vianey, dans ses analyses, nous fait, à maintes reprises, toucher du doigt. Le poète excelle à enfermer dans le cadre d'une seule composition tout l'essentiel d'une