Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/447

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

époque. Dans Bhagavat il condense toute la substance du Bhagavata Pourana, en sorte qu’on y peut apprendre « aussi bien que dans le plus savant ouvrage de mythologie comparée les différences des mythes grecs et des mythes indiens. » Dans Qaïn, il fait tenir les trois grands faits de l’histoire biblique : l’expulsion du Paradis, le déluge, la captivité de Babylone. Dans l’Apothéose de Mouça el Kébyr, s’il ne résume pas tout le Koran, il ouvre des perspectives sur tout l’islamisme. En exposant les doctrines, il les explique, et, par exemple, il nous fait sentir ce que les vieux mythes ont de particulier et de local, en les mettant en relations avec la nature extérieure : c’est à quoi lui servent ses paysages, généralement admirables, et où pas un trait n’est mis pour les seuls besoins du pittoresque. Il simplifie. Il écarte tout ce qui est curiosité de détail, pour aller jusqu’à l’âme. On a d’abord quelque peine à le croire. Il est bon que quelqu’un qui y est allé voir témoigne pour ce travail d’élagage auquel Leconte de Lisle a soumis les textes dont il s’est inspiré. Il a éliminé, éclairci, dans la mesure du moins où il a cru pouvoir le faire. Car il ne convient pas de dispenser le lecteur de tout effort. Et depuis quand la poésie est-elle le lieu banal où le premier venu peut entrer sans initiation ? Enfin Leconte de Lisle généralise. Il pousse au type les figures individuelles. Nurmahal est la favorite orientale et Djihan Ara est l’héroïne du sacrifice. Il élargit jusqu’au symbole. Ainsi ses poèmes sont des chefs-d’œuvre de composition harmonieuse, dont la matière a été fournie et contrôlée par l’érudition.

Qui ne sait que des spectacles de l’histoire se lève une tristesse qui lui est propre ? La trame de l’histoire est faite de la succession des âges abolis, de la série des choses qui ont été et qui ne sont plus. Les races comme les individus, les civilisations comme leurs monumens tour à tour ont disparu. Ce que nous en voyons subsister jusqu’aujourd’hui, tombera, lui aussi, en poussière. Il n’est que de laisser faire le temps. « Quel cimetière que l’histoire ! » disait un contemporain de Leconte de Lisle. Pour assistera cette universelle destruction sans en être découragé, il faut être ou le croyant d’une religion ou l’adepte d’une philosophie optimiste. Le croyant aperçoit dans la chute des Empires une preuve de la toute-puissance divine qui, par des voies cachées, mène l’humanité à ses fins. L’optimiste tient la ruine des anciennes civilisations pour les occasions mêmes ou les conditions d’un progrès par où les hommes s’acheminent vers la cité idéale et le bonheur souverain. Leconte de Lisle ne croit pas au Dieu des religions révélées, et il n’est pas un dévot de la religion du Pro-