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grès. Les perspectives que lui ouvre l’érudition lui font apercevoir dans la double immensité du temps et de l’espace la surface du globe jonchée de ruines. Et ces écroulemens, la Terre ne les a pas même sentis. Car la Nature est indifférente à cette comédie humaine dont elle est le théâtre. Elle est sourde à nos plaintes et à nos déclamations.

L’histoire à laquelle Leconte de Lisle s’est attaché presque uniquement est l’histoire des religions. Il en fut de tout temps préoccupé. Un de ses premiers poèmes, non recueilli dans la collection de ses œuvres, la Recherche de Dieu contient ces vers bien significatifs :


J’ai remué, Seigneur ! les poussières du monde ;
J’ai reverdi pour vous ce que le temps émonde,
Les rameaux desséchés du tronc religieux ;
Des cultes abolis j’ai repeuplé les deux.
Rien ne m’a répondu, ni l’esprit, ni la lettre,
Et je vous ai cherché, vous qui dispensez l’Être…


C’est déjà le programme de toute son œuvre future. Il y passera, aussi complètement qu’il lui est possible, une revue des religions. Pas de cosmogonie si bizarre qu’il ne se soit plu à l’évoquer. On dirait qu’il a voulu se mettre sous les yeux toutes les formes sous lesquelles les hommes ont envisagé et toutes les réponses par lesquelles ils ont cru résoudre le problème religieux. Qu’est-ce à dire, sinon qu’il est lui-même tourmenté par ce problème ? Cela donne à la poésie de Leconte de Lisle son caractère. Cette poésie est faite de l’inquiétude pour les plus hautes questions auxquelles l’homme puisse s’attacher : celles de sa nature et de ses destinées. Il est bien impossible de ne voir ici qu’une vaine curiosité d’artiste et de n’y pas reconnaître « l’âpre désir des choses éternelles. » Et comment oublier cette plainte, l’une des plus douloureuses que le vers français ait jamais traduite :


Ah ! tout cela, jeunesse, amour, joie et pensée.
Chants de la mer et des forêts, souffles du ciel
Emportant à plein vol l’espérance insensée,
Qu’est-ce que tout cela qui n’est pas éternel ?


Mais quoi ! pour qui les envisage comme phénomènes historiques, elles aussi les religions se conforment à la loi universelle. Elles n’ont pas toujours existé : elles n’existeront pas toujours. Dans le Runoia, le dieu des Runes est bien obligé de disparaître devant l’arrivée victorieuse de l’Enfant qui sera le Christ ; mais ce n’est pas sans lui avoir lancé la prophétie vengeresse : « Tu mourras à ton tour ! » Si l’histoire est un cimetière, l’histoire des religions mérite d’être appelée le « char-