Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/449

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nier des Dieux. » Combien mesquine fut la mélancolie des romantiques désolés parce que la vie ne leur apportait pas autant de jouissances qu'ils en souhaitaient ! C'est ici l'humanité tout entière qui vient pleurer sur le mensonge des illusions qu'elle s'était créées, et sans lesquelles ni la vie n'a de sens, ni le monde n'a de raison d'être.

Ces religions que tour à tour il se plaît à ressusciter, Leconte de Lisle ne les met pas toutes sur le même plan. Il a parmi elles ses préférées. Ce sont les religions polythéistes, celles qui se sont bornées à diviniser les forces de la nature et dans lesquelles le mythologue entend frémir les murmures de l'air et voit rayonner la splendeur du soleil. C'est le paganisme antique qui favorisa la libre expansion de toutes nos énergies et donna pour seul but à la vie le bonheur, pour seule règle la beauté. Ce sont les cultes hindous qui nous enseignent le renoncement à toutes choses et donnent pour créatrice et pour reine au monde l'Illusion. Et il a une ennemie personnelle : c'est la religion du Christ. Il se peut qu'il ait mis hors de cause la personne elle-même de Jésus, parlé avec une sorte d'attendrissement du « pâle crucifié » et dessiné avec quelque complaisance la « figure aux cheveux roux d'ombre et de paix voilée. » Mais c'est bien la prédication elle-même du Christ qu'il poursuit dans ce qu'elle a d'essentiel, et le verbe divin qu'il accuse d'avoir attristé la vie humaine.


Je suis le dernier né des familles divines…
L'enfant tardif promis au monde déjà vieux
… Et je viens apporter à l'homme épouvanté
Le mépris de la vie et de la volupté.


Maintenant on devine que les siècles imprégnés de christianisme seront pour le poète les siècles maudits. Les romantiques s'étaient épris du moyen âge ; ils en avaient aimé l'âme recueillie et mystique. Leconte de Lisle n'y aperçoit que l'ignorance des moines et la cruauté des persécuteurs. Contre l'Église et contre les prêtres il lui arrive d'égaler en grossièreté Victor Hugo lui-même.

Toutefois, et quoiqu'il fasse entre les religions des différences, on peut bien dire qu'à travers toute. la poésie de Leconte de Lisle circule un même sentiment de haine contre toute religion. Cette haine, au surplus, lui a inspiré ses plus puissantes créations, celles qui font de son œuvre autre chose qu'un merveilleux répertoire d'images et de couleurs. Un type y apparaît dans une sorte de sauvage et tragique grandeur : celui de la victime des dieux destinée à devenir le vengeur des hommes. Ce type se retrouve sous des noms et des traits diffé-