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de la Reine de la Nuit. Qui dira de quelle religion, sous les voûtes de ce temple, ces prêtres vêtus de blanc, ces hommes d’armes sont les ministres et les gardiens ? Mais qui niera que leurs sublimes cantiques respirent l’essence même ou l’idéal du sentiment religieux !

Et le duetto, le fameux, l’immortel duetto de Papageno et de Pamina ! Quoi de plus modeste, de plus humble même ! Vous savez qui le chante : la captive d’un roi nègre (encore un fantoche de féerie) avec un preneur d’oiseaux. Un hasard quelconque les a réunis et les fait échanger, n’étant même pas amoureux, j’entends amoureux l’un de l’autre, des propos et des maximes d’amour. Maximes sans prétention et propos qui n’ont rien de rare. Mais quel sens mystérieux, infini, les notes, — et si peu de notes ! — leur donnent ! Sur des paroles familières et presque bourgeoises, quelle céleste musique ! Ici paraît, après la généralité, le second caractère du grand art : la bienfaisance, que Taine estimait encore plus précieux. L’éthos ou l’idéal de Mozart n’est pas, auraient dit les Grecs, le dionysiaque, mais l’apollinien, celui qui ne trouble pas, mais qui discipline, apaise et purifie. Entre tant de duos d’amour, aucun ne ressemble au duo de Papageno et de Pamina. Celui même de Don Juan : Là ci darem la mano, paraît voluptueux, ou du moins sensuel à côté. « Nous nous réjouissons dans l’amour, par l’amour seul nous vivons ; l’amour adoucit toute épreuve, à lui sacrifie toute créature. La fin de l’amour est haute ; rien de plus noble qu’un homme et qu’une femme, rien n’approche davantage de la divinité. » Et la vertu de la musique en effet, oui, sa vertu, communique à cet éloge de l’amour quelque chose de divin.

J’en connais un autre, seulement littéraire, et très différent. « Il y a, » dit Perdican, après avoir médit des hommes et des femmes, « il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de ces deux êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

Oh ! que le langage du musicien, avec moins d’éclat que celui du poète, a plus de sobriété, de naturel, et de surnaturel aussi ! Comme il part d’un cœur plus innocent, ignorant le tourment et la fièvre ! Au lieu de quelle âpreté, quelle douceur ! Quelle intuition, quelle expression plus sereine d’un saint, d’un éternel amour ! Nous l’avons dit naguère, et peut-être nous excusera-t-on de le redire, poètes ou peintres,