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Cette pauvre enfant est d’ailleurs, à beaucoup près, la figure la plus séduisante entre la demi-douzaine de « fragiles beautés » dont M. Horace Bleackley nous raconte la vie, dans un livre dont je ne saurais mieux définir à la fois la valeur littéraire et le vif agrément qu’en le comparant aux délicates études biographiques de M. de Nolhac. Telles autres des héroïnes du livre, comme Gertrude Mahon ou Kitty Kennedy, n’ont même à nous offrir qu’un type assez banal de filles galantes, ou bien se trouvent unir à des qualités d’esprit d’un degré plus haut une dépravation, plus ou moins consciente, qui nous empêche de nous émouvoir de leur infortune, — comme la trop célèbre Mme Grâce Dabrymple Eliot, qui nous a laissé un long tissu de mensonges sous le titre de Journal de ma vie pendant la Révolution française. Et pourtant, il est sûr que, si nous devions juger du caractère de toutes ces jeunes femmes d’après les tableaux qui nous les représentent, la galanterie anglaise aurait produit, au XVIIIe siècle, une fleur de beauté corporelle et morale bien plus parfaite encore que Kitty Fisher : car c’est aussi à la même profession qu’appartenait cette Nancy Parsons dont l’image, peinte par Thomas Gainsborough vers 1770, est certes l’une des apparitions féminines les plus pures et les plus touchantes qui soient sorties jamais de la main d’un peintre.

Celle-là ne nous montre plus seulement, comme le modèle favori de Reynolds, un mélange de douceur enfantine et de simple rêverie : sous des traits d’une grâce et d’une élégance presque surnaturelles, son visage princier semble porter la trace d’un monde infini d’émotion douloureuse ; et il n’y a pas jusqu’au geste abandonné de ses longues mains blanches qui n’achève de prêter à cette inoubliable figure une expression de mélancolie à jamais sans espoir. Mais, d’abord, nous savons que Gainsborough, à la différence de Reynolds, était un poète, toujours prêt à revêtir ses modèles des riches et charmantes illusions de sa fantaisie. M. de la Sizeranne ne nous a-t-il pas très heureusement expliqué, l’autre jour encore, par quel miracle de génie ce magicien du portrait est parvenu à transfigurer l’épais et prosaïque visage de la reine Charlotte ? Dans son œuvre, comme dans celle de ses frères en poésie, les Raphaël, les Rembrandt, ou les Watteau, toujours nous avons le droit de penser que l’artiste, en quelque sorte, « nous en a dit plus long » que n’en comportait la réalité ordinaire : si bien que la véritable Nancy Parsons peut fort bien mériter seulement notre admiration pour avoir eu de quoi lui fournir, avec sa figure véritable, l’occasion du rêve délicieux qu’il a conçu et traduit en essayant de la représenter. Et c’est, en effet, l’hypothèse que confirme pleinement le